Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/418

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d’Uxelles, homme froid, taciturne, d’un esprit plus sage qu’élevé et hardi, et l’abbé, depuis cardinal, de Polignac, l’un des plus beaux esprits et des plus éloquents de son siècle, qui imposait par sa figure et par ses grâces. L’esprit, la sagesse, l’éloquence, ne sont rien dans des ministres, lorsque le prince n’est pas heureux. Ce sont les victoires qui font les traités. Les ambassadeurs de Louis XIV furent plutôt confinés qu’admis à Gertruidenberg. Les députés venaient entendre leurs offres, et les rapportaient à la Haye au prince Eugène, au duc de Marlborough, au comte de Zinzendorf, ambassadeur de l’empereur ; et ces offres étaient toujours reçues avec mépris. On leur insultait par des libelles outrageants, tous composés par des réfugiés français, devenus plus ennemis de la gloire de Louis XIV que Marlborough et Eugène.

Les plénipotentiaires de France poussèrent l’humiliation jusqu’à promettre que le roi donnerait de l’argent pour détrôner Philippe V, et ne furent point écoutés. On exigea que Louis XIV, pour préliminaires, s’engageât seul à chasser d’Espagne son petit-fils, dans deux mois, par la voie des armes. Cette inhumanité absurde, beaucoup plus outrageante qu’un refus, était inspirée par de nouveaux succès[1].

Tandis que les alliés parlaient ainsi en maîtres irrités contre la grandeur et la fierté de Louis XIV, également abaissées, ils prenaient la ville de Douai (juin 1710). Ils s’emparèrent bientôt après de Béthune, d’Aire, de Saint-Venant ; et le lord Stair proposa d’envoyer des partis jusqu’à Paris.

Presque dans le même temps, l’armée de l’archiduc, commandée en Espagne par Guy de Staremberg, le général allemand qui avait le plus de réputation après le prince Eugène, remporta, près de Saragosse (20 août 1710), une victoire complète sur l’armée en qui le parti de Philippe V avait mis son espérance, à la tête de laquelle était le marquis de Bay, général malheureux. On remarqua encore que les deux princes qui se disputaient l’Espagne, et qui étaient l’un et l’autre à portée de leur armée, ne se trouvèrent pas à cette bataille[2]. De tous les princes pour qui on combattait en Europe, il n’y avait alors que le duc de Savoie qui fît la guerre par lui-même. Il était triste qu’il n’acquît cette

  1. C’est alors que Louis XIV prononça les paroles rapportées par erreur au chapitre xxi, page 393, comme ayant été dites après le rejet des premières offres de paix. (G. A.)
  2. « Philippe V, dit M. Henri Martin, avait du moins la fièvre pour excuse, et son courage n’était pas suspect. »