Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/419

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gloire qu’en combattant contre ses deux filles, dont il voulait détrôner l’une pour acquérir en Lombardie un peu de terrain, sur lequel l’empereur Joseph lui faisait déjà des difficultés, et dont on l’aurait dépouillé à la première occasion.

Cet empereur était heureux partout, et n’était nulle part modéré dans son bonheur. Il démembrait de sa seule autorité la Bavière ; il en donnait les fiefs à ses parents et à ses créatures. Il dépouillait le jeune duc de La Mirandole en Italie ; et les princes de l’empire lui entretenaient une armée vers le Rhin sans penser qu’ils travaillaient à cimenter un pouvoir qu’ils craignaient : tant était encore dominante dans les esprits la vieille haine contre le nom de Louis XIV, qui semblait le premier des intérêts. La fortune de Joseph le fit encore triompher des mécontents de Hongrie. La France avait suscité contre lui le prince Ragotski, armé pour ses prétentions et pour celles de son pays. Ragotski fut battu, ses villes prises, son parti ruiné. Ainsi Louis XIV était également malheureux au dehors, au dedans, sur mer et sur terre, dans les négociations publiques et dans les intrigues secrètes.

Toute l’Europe croyait alors que l’archiduc Charles, frère de l’heureux Joseph, régnerait sans concurrent en Espagne. L’Europe était menacée d’une puissance plus terrible que celle de Charles-Quint ; et c’était l’Angleterre, longtemps ennemie de la branche d’Autriche espagnole, et la Hollande, son esclave révoltée, qui s’épuisaient pour l’établir. Philippe V, réfugié à Madrid, en sortit encore, et se retira à Valladolid ; tandis que l’archiduc Charles fit son entrée en vainqueur dans la capitale.

Le roi de France ne pouvait plus secourir son petit-fils ; il avait été obligé de faire en partie ce que ses ennemis exigeaient à Gertruidenberg, d’abandonner la cause de Philippe, en faisant revenir, pour sa propre défense, quelques troupes demeurées en Espagne. Lui-même à peine pouvait résister vers la Savoie, vers le Rhin, et surtout en Flandre, où se portaient les plus grands coups.

L’Espagne était encore bien plus à plaindre que la France. Presque toutes ses provinces avaient été ravagées par leurs ennemis et par leurs défenseurs. Elle était attaquée par le Portugal. Son commerce périssait, la disette était générale ; mais cette disette fut plus funeste aux vainqueurs qu’aux vaincus, parce que dans une grande étendue de pays l’affection des peuples refusait tout aux Autrichiens et donnait tout à Philippe. Ce monarque n’avait plus ni troupes, ni général de la part de la France. Le duc d’Orléans, par qui s’était un peu rétablie sa fortune chancelante, loin