Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/420

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de continuer de commander ses armées, était regardé alors comme son ennemi. Il est certain que, malgré l’affection de la ville de Madrid pour Philippe, malgré la fidélité de beaucoup de grands et de toute la Castille, il y avait contre Philippe V un grand parti en Espagne. Tous les Catalans, nation belliqueuse et opiniâtre, tenaient obstinément pour son concurrent. La moitié de l’Aragon était aussi gagnée. Une partie des peuples attendait alors l’événement ; une autre haïssait plus l’archiduc qu’elle n’aimait Philippe. Le duc d’Orléans, du même nom que Philippe, mécontent d’ailleurs des ministres espagnols, et plus mécontent de la princesse des Ursins qui gouvernait, crut entrevoir qu’il pouvait gagner pour lui le pays qu’il était venu défendre ; et lorsque Louis XIV avait proposé lui-même d’abandonner son petit-fils, et qu’on parlait déjà en Espagne d’une abdication, le duc d’Orléans se crut digne de remplir la place que Philippe V semblait devoir quitter. Il avait à cette couronne des droits que le testament du feu roi d’Espagne avait négligés, et que son père avait maintenus par une protestation.

Il fit par ses agents une ligue avec quelques grands d’Espagne, par laquelle ils s’engageaient à le mettre sur le trône en cas que Philippe V en descendît. Il aurait en ce cas trouvé beaucoup d’Espagnols empressés à se ranger sous les drapeaux d’un prince qui savait combattre. Cette entreprise, si elle eût réussi, pouvait ne pas déplaire aux puissances maritimes, qui auraient moins redouté alors de voir l’Espagne et la France réunies dans une même main ; et elle aurait apporté moins d’obstacles à la paix. Le projet fut découvert à Madrid, vers le commencement de 1709, tandis que le duc d’Orléans était à Versailles. Ses agents furent emprisonnés en Espagne. Philippe V ne pardonna pas à son parent d’avoir cru qu’il pouvait abdiquer, et d’avoir eu la pensée de lui succéder. La France cria contre le duc d’Orléans. Monseigneur, père de Philippe V, opina dans le conseil qu’on fît le procès à celui qu’il regardait comme coupable ; mais le roi aima mieux ensevelir dans le silence un projet informe et excusable que de punir son neveu dans le temps qu’il voyait son petit-fils toucher à sa ruine.

Enfin, vers le temps de la bataille de Saragosse, le conseil du roi d’Espagne et la plupart des grands, voyant qu’ils n’avaient aucun capitaine à opposer à Staremberg, qu’on regardait comme un autre Eugène, écrivirent en corps à Louis XIV pour lui demander le duc de Vendôme. Ce prince, retiré dans Anet[1], partit

  1. Depuis l’affaire d’Oudenarde. Le château d’Anet est près de Dreux.