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CHAPITRE XXIV[1].

TABLEAU DE L’EUROPE DEPUIS LA PAIX d’UTRECHT JUSQU’À LA MORT DE LOUIS XIV.


J’ose appeler encore cette longue guerre une guerre civile. Le duc de Savoie y fut armé contre ses deux filles. Le prince de Vaudemont, qui avait pris le parti de l’archiduc Charles, avait été sur le point de faire prisonnier dans la Lombardie son propre père, qui tenait pour Philippe V. L’Espagne avait été réellement partagée en factions. Des régiments entiers de calvinistes français avaient servi contre leur patrie. C’était enfin pour une succession entre parents que la guerre générale avait commencé, et l’on peut ajouter que la reine d’Angleterre excluait du trône son frère, que Louis XIV protégeait, et qu’elle fut obligée de le proscrire.

Les espérances et la prudence humaine furent trompées dans cette guerre, comme elles le sont toujours. Charles VI, deux fois

    avaient porté en Espagne. (Mémoires de Saint-Philippe.) À peine sortis d’une ville, les partisans de l’archiduc entendaient le bruit des réjouissances que le peuple faisait en l’honneur de Philippe. Mais la nation aragonaise penchait pour l’archiduc. La haine entre les deux nations semblait s’être réveillée. Les Espagnols des deux partis montrèrent dans cette guerre le même caractère qu’ils avaient déployé dans leurs guerres contre les Carthaginois et les Romains. La domination de Rome, des Goths, et des Maures, la révolution dans la religion et dans le gouvernement, ne l’avaient point changé. Plusieurs villes se défendirent comme Sagonte et comme Numance ; mais, comme dans ces anciennes époques, nulle réunion entre les différents cantons, nul effort suivi et combiné : cette force de caractère ne se montrait que quand ils étaient attaqués, et alors elle devenait indomptable.

    Les Catalans furent dépouillés de leurs privilèges ; heureusement ces prétendus privilèges n’étaient que des droits accordés aux villes et aux riches aux dépens des campagnes et du peuple. Depuis leur destruction, l’industrie de cette nation s’est ranimée ; l’agriculture, les manufactures, le commerce, ont fleuri, et l’orgueil de la victoire a ordonné ce que, dans un temps plus éclairé, un gouvernement paternel eût voulu faire. (K.)

  1. En 1751, 1752, 1753, ce chapitre n’était que le vingt-troisième. Cette différence vient de ce qu’alors le chapitre Ier comprenait l’Introduction, et des États de l’Europe avant Louis XIV, dont, en 1756, Voltaire forma deux chapitres, les clxv et clxvi de son Essai sur l’histoire générale (aujourd’hui, sauf les changements, chapitres i et ii du Siècle de Louis XIV). Le chapitre xxiii des éditions de 1751, 1752 et 1753, devenu en 1756 le chapitre clxxxvii de l’Essai, subit alors de grands changements. Une partie de ce qui le composait servit pour le chapitre clxxxix, qui, en 1768, forma une partie du chapitre iii du Précis du Siècle de Louis XV. (B.) — Voyez ce chapitre, tome XV.