Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/436

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siastiques moururent dans ce siège les armes à la main. On peut juger si leurs discours et leur exemple avaient animé les peuples.

Ils arborèrent sur la brèche un drapeau noir, et soutinrent plus d’un assaut. Enfin les assiégeants ayant pénétré, les assiégés se battirent encore de rue en rue ; et, retirés dans la ville neuve tandis que l’ancienne était prise, ils demandèrent en capitulant qu’on leur conservât tous leurs privilèges (12 septembre 1714). Ils n’obtinrent que la vie et leurs biens. La plupart de leurs privilèges leur furent ôtés ; et de tous les moines qui avaient soulevé le peuple et combattu contre leur roi, il n’y en eut que soixante de punis : on eut même l’indulgence de ne les condamner qu’aux galères. Philippe V avait traité plus rudement la petite ville de Xativa[1] dans le cours de la guerre : on l’avait détruite de fond en comble, pour faire un exemple ; mais si l’on rase une petite ville de peu d’importance, on n’en rase point une grande, qui a un beau port de mer, et dont le maintien est utile à l’État.

Cette fureur des Catalans, qui ne les avait pas animés quand Charles VI était parmi eux, et qui les transporta quand ils furent sans secours, fut la dernière flamme de l’incendie qui avait ravagé si longtemps la plus belle partie de l’Europe, pour le testament de Charles II, roi d’Espagne[2]

  1. Cette ville de Xativa fut rasée en 1707, après la bataille d’Almanza. Philippe V fit bâtir sur ses ruines une autre ville qu’on nomme à présent San Felipe. (Note de Voltaire.)
  2. Les alliés ne firent de progrès en Espagne qu’à l’aide du parti qui y subsistait en faveur de la maison d’Autriche. Ce parti s’était formé pendant la vie de Charles II, et les fautes du ministère de Philippe V lui donnèrent des forces. Il était impossible qu’il n’y eût des cabales dans la cour d’un roi étranger à l’Espagne, jeune, incapable de gouverner par lui-même : et il était impossible d’empêcher ces cabales de dégénérer en conspirations et en partis. Peut-être cependant eût-on prévenu les suites funestes de ces cabales si, au lieu d’abandonner son petit-fils aux intrigues de la princesse des Ursins, des ambassadeurs de France, des Français employés à Madrid, des ministres espagnols, Louis XIV lui eût donné pour guide un homme capable à la fois d’être ambassadeur, ministre, et général ; assez supérieur à tous les préjugés pour n’en blesser aucun inutilement ; assez au-dessus de la vanité pour ne faire aucune parade de son pouvoir, et se borner à être utile en secret ; assez modeste pour cacher à la haine des Espagnols pour les étrangers le bien qu’il ferait à leur pays ; un homme enfin dont le nom, respecté dans l’Europe, en imposât à la jalousie nationale. Cet homme existait en France ; mais Mme de Maintenon trouvait qu’il n’avait pas une véritable piété.

    La nation castillane montra un attachement inébranlable pour Philippe V. Lorsque les troupes de l’archiduc traversèrent la Castille, elles la trouvèrent presque déserte ; le peuple fuyait devant elles, cachait ses vivres pour n’être pas obligé de leur en vendre ; les soldats qui s’écartaient étaient tués par les paysans. Les courtisanes de Madrid se rendirent en foule au camp des Anglais et des Allemands dans l’intention d’y répandre le poison que les compagnons de Colomb