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ÉCRIVAINS FRANÇAIS

vrier 1657. On peut le regarder comme l’esprit le plus universel que le siècle de Louis XIV ait produit. Il a ressemblé à ces terres heureusement situées qui portent toutes les espèces de fruits. Il n’avait pas vingt ans lorsqu’il fit une grande partie de la tragédie opéra de Bellorophon, et depuis il donna l’opéra de Thétis et Pélée, dans lequel il imita beaucoup Quinault, et qui eut un grand succès. Celui d’Énée et Lavinie en eut moins. Il essaya ses forces au théâtre tragique ; il aida Mlle  Bernard dans quelques pièces. Il en composa deux, dont une fut jouée en 1680, et jamais imprimée[1]. Elle lui attira trop longtemps de très-injustes reproches : car il avait eu le mérite de reconnaître que, bien que son esprit s’étendît à tout, il n’avait pas le talent de Pierre Corneille, son oncle, pour la tragédie[2].

En 1686, il fit l’allégorie de Méro et d’Énégu[3] : c’est Rome et Genève. Cette plaisanterie si connue, jointe à l’Histoire des oracles, excita depuis contre lui une persécution. Il en essuya une moins dangereuse, et qui n’était que littéraire, pour avoir soutenu qu’à plusieurs égards les modernes valaient bien les anciens. Racine et Boileau, qui avaient pourtant intérêt que Fontenelle eût raison, affectèrent de le mépriser, et lui fermèrent longtemps les portes de l’Académie. Ils firent contre lui des épigrammes ; il en fit contre eux, et ils furent toujours ses ennemis. Il fit beaucoup d’ouvrages légers, dans lesquels on remarquait déjà cette finesse et cette profondeur qui décèlent un homme supérieur à ses ouvrages mêmes. On remarqua dans ses vers et dans ses Dialogues des morts l’esprit de Voiture, mais plus étendu et plus philosophique. Sa Pluralité des mondes fut un ouvrage unique en son

  1. C’est Aspar, connu par l’épigramme de Racine. « J’ignore l’autre, dit l’abbé Trublet (qui connaissait si bien son Fontenelle), à moins que Voltaire n’ait voulu parler du Brutus » ; voyez, ci-dessus, page 40.
  2. Après ce mot, on lisait en 1752 : Il fit beaucoup d’ouvrages légers, etc. Dans l’édition de 1763, Voltaire avait ajouté : « Il essuya même une espèce de persécution littéraire pour avoir soutenu qu’à plusieurs égards les modernes valaient bien les anciens. Racine et Boileau, qui avaient pourtant intérêt que Fontenelle eût raison, affectèrent de le mépriser, et lui fermèrent longtemps les portes de l’Académie. Ils firent contre lui des épigrammes ; il en fit contre eux, et ils furent toujours ses ennemis. Il fit beaucoup, etc. » Ce fut en 1768 que Voltaire remplaça ce passage de 1763 par ce qu’on lit aujourd’hui.
  3. Voltaire parle plus au long de tout ceci dans la septième de ses Lettres à Son Altesse Monseigneur le prince de ***.

    — Aucun opuscule ne porte le nom de Méro et Énégu. Laharpe a commis la même erreur dans le Cours de littérature. Ces deux mots désignant Rome et Genève se trouvent dans la Relation de l’île de Bornéo, petit ouvrage longtemps attribué à Fontenelle sur la foi de Bayle, et qui peut-être n’est pas de lui.