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DU SIÈCLE DE LOUIS XIV.

genre. Il sut faire, des Oracles de Van-Dale, un livre agréable. Les matières délicates auxquelles on touche dans ce livre lui attirèrent des ennemis violents, auxquels il eut le bonheur d’échapper. Il vit combien il est dangereux d’avoir raison dans des choses où des hommes accrédités ont tort. Il se tourna vers la géométrie et vers la physique avec autant de facilité qu’il avait cultivé les arts d’agrément. Nommé secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, il exerça cet emploi pendant plus de quarante ans avec un applaudissement universel. Son Histoire de l’Académie jette très-souvent une clarté lumineuse sur les mémoires les plus obscurs. Il fut le premier qui porta cette élégance dans les sciences. Si quelquefois il y répandit trop d’ornement, c’était de ces moissons abondantes dans lesquelles les fleurs croissent naturellement avec les épis.

Cette Histoire de l’Académie des sciences serait aussi utile qu’elle est bien faite s’il n’avait eu à rendre compte que de vérités découvertes ; mais il fallait souvent qu’il expliquât des opinions combattues les unes par les autres, et dont la plupart sont détruites.

Les éloges[1] qu’il prononça des académiciens morts ont le mérite singulier de rendre les sciences respectables, et ont rendu tel leur auteur. En vain l’abbé Desfontaines et d’autres gens de cette espèce ont voulu obscurcir sa réputation : c’est le propre des grands hommes d’avoir de méprisables ennemis. S’il fit imprimer depuis des comédies froides, peu théâtrales, et une apologie des tourbillons de Descartes, on a pardonné ces comédies en faveur de sa vieillesse, et son cartésianisme en faveur des anciennes opinions qui, dans sa jeunesse, avaient été celles de l’Europe.

Enfin on l’a regardé comme le premier des hommes dans l’art nouveau de répandre de la lumière et des grâces sur les sciences abstraites, et il a eu du mérite dans tous les autres genres qu’il a traités. Tant de talents ont été soutenus par la connaissance des langues et de l’histoire ; et il a été, sans contredit, au-dessus de tous les savants qui n’ont pas eu le don de l’invention.

Son Histoire des Oracles, qui n’est qu’un abrégé très-sage et très-modéré de la grande histoire de Van-Dale, lui fit une querelle assez violente avec quelques jésuites compilateurs de la Vie des Saints[2], qui avaient précisément l’esprit des compilateurs. Ils

  1. Voyez ce que Voltaire a dit de ces Éloges des académiciens dans le Préservatif. (Mélanges, à la date de 1738.)
  2. Le jésuite Baltus, adversaire de Fontenelle, n’a point fait de Vies des Saints, mais il a donné, entre autres ouvrages, les Actes de saint Barlaam, 1720, in-12. Sur Baltus, voyez les articles Oracles, section i, et Philosophie, section i, dans le Dictionnaire philosophique.