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PREMIÈRE PARTIE.

raison de ses décisions, parle avec la même modestie que s’il avait un roi d’Angleterre à faire.

Il règle les rangs des rois. Il dit que le roi de Sardaigne ne cédera jamais le pas au roi de France. Quelquefois il condamne en un seul mot. Par exemple l’auteur du Siècle de Louis XIV dit[1] que la France, depuis la mort de François II, avait toujours été déchirée par des guerres civiles, ou troublée par des factions ; et le savant La Beaumelle demande quand ? Voilà un excellent critique en histoire ! Il ignore les horribles guerres civiles sous Charles IX, Henri III, Henri IV, et les factions qui marquèrent toutes les années du règne de Louis XIII.

« Ceci est bon, dit-il, cela est médiocre, cette phrase est mauvaise. » Il dit en un endroit que l’auteur du Siècle écrit comme un clerc de procureur. L’auteur du Siècle lui aurait eu plus d’obligation des instructions historiques qu’il devait attendre d’un homme qui prend la peine de contrefaire son livre en l’enrichissant de notes : l’auteur était en effet tombé dans des méprises considérables. Il était bien difficile que, n’ayant alors pour tout secours que ses Mémoires qu’il avait apportés de France, il ne se fût pas trompé quelquefois. Toutes les erreurs qu’il a reconnues, et dont des hommes respectables ont eu la bonté de l’avertir, ont été soigneusement corrigées dans les éditions nouvelles de 1753. Mais La Beaumelle s’est bien donné de garde d’en relever aucune. Où aurait-il appris à les démêler, lui qui ne sait pas seulement que le fameux prince d’Orange Guillaume III fut créé stathouder après avoir été nommé capitaine et amiral général ? lui qui ignore l’ancien droit qu’avait l’empereur sur la ville de Bamberg, droit qui tire son origine des conventions faites avec les papes, dans le temps qu’ils avaient la principauté de Bamberg, principauté qu’ils échangèrent depuis pour celle de Bénévent. Sait-il mieux l’histoire du temps que l’histoire ancienne quand, dans une de ses remarques, il dit que l’entreprise en faveur du prétendant, en 1744, a eu les suites les plus heureuses ? Tout le monde sait à quel point elle fut inutile. Le maréchal de Saxe, qui devait la conduire, rentra dans le port ; et il n’y eut de diversion opérée par le prince Édouard que lorsqu’il passa seul en Écosse en 1745, sans conseil, sans secours, et assisté de son seul courage.

Plus il est ignorant, plus il parle en maître ; et plus il parle en maître, sans alléguer de raisons, moins il mérite qu’on lui réponde directement. Mais comme on doit avoir pour le public

  1. Chapitre ii, tome XIV, page 173.