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SUPPLÉMENT AU SIÈCLE DE LOUIS XIV.

pris parti dans la guerre de la succession. Notre La Beaumelle demande « qui sont ces membres du parlement ? plusieurs autres membres, dit-il, et tous les historiens m’ont assuré le contraire ».

Vous, jeune homme[1], qui n’avez jamais été à Londres, qui n’avez pu vous informer de ce fait, puisque l’auteur du Siècle est le premier qui l’ait fait connaître, vous osez dire que cette anecdote est discutée dans tous les autres historiens ! Apprenez de qui l’auteur la tient : de Milord Bolingbroke, qu’il a fréquenté pendant plusieurs années ; et ce que milord Bolingbroke lui en avait toujours dit se trouve confirmé aujourd’hui par ses Lettres historiques, qui viennent de paraître. Il n’y a qu’à lire les pages 158 et 159 de son tome second. C’est là qu’on verra comment, par un accord heureux, on peut concilier ce que MM. de Torcy et Bolingbroke ont dit tant de fois, et ce qui est très-vrai, que ce furent des femmes à qui le prétendant dut la consolation d’être reconnu roi par Louis XIV. Milord Bolingbroke ne savait celle anecdote que confusément, et M. de Torcy en était instruit dans le plus grand détail et avec la plus grande certitude. Milord Bolingbroke dit dans ses Lettres que « des intrigues de femmes déterminèrent Louis XIV » ; mais quelles étaient ces femmes ? Ce fut la propre veuve du roi Jacques, la mère du prétendant, qui vint en larmes conjurer Louis XIV de ne pas refuser de vains honneurs au fils d’un roi qu’il avait protégé, et qu’il avait toujours reconnu pour roi, même après le traité de Rysvick, sans que Guillaume III s’en fût offensé. Elle lui demanda cette grâce au nom de sa magnanimité et de sa gloire ; et le roi céda à ces deux noms qui pouvaient sur lui plus que tout son conseil. C’est là ce que milord Bolingbroke ne savait pas, et ce qui se trouve, dans la nouvelle édition du Siècle[2], parmi d’autres faits aussi curieux que véritables.

La Beaumelle peut encore porter son ignorance téméraire jusqu’à dire que les petites querelles de la duchesse de Marlborough et de milady Masham n’influèrent en rien sur les affaires. « Ce conte, dit-il, est pris de l’Anti-Machiavel, et n’en est pas le meilleur endroit. » Ce conte est une vérité reconnue de toute l’Angleterre, que Mme  la duchesse de Marlborough avoua elle-même plusieurs fois à M. de Voltaire, et qu’elle a confirmée depuis

  1. La Beaumelle répond à cette apostrophe par : « Vous, vieillard, etc., vous êtes un astre ! Il est vrai que vous avez passé votre méridien, et que le temps est bien couvert. » (G. A.)
  2. Voyez la note, tome XIV, pages 339-340.