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PREMIÈRE PARTIE.

de l’Europe[1], à la fin du Siècle de Louis XIV, comme s’il m’avait comblé de bienfaits. Quand l’historien parle, l’homme doit se taire. L’éloge que j’ai fait de ce ministre ne ma rien coûté ; et si Trajan m’avait persécuté, je dirais que Trajan a tort, mais qu’il est un grand homme.

La Beaumelle me fait un plaisant reproche d’avoir consulté pendant vingt années les premiers hommes du royaume pour m’instruire de la vérité. Que ne me reproche-t-il aussi d’avoir demandé à tant d’officiers généraux des instructions sur la guerre de 1741 ? d’avoir travaillé six mois sans relâche dans les bureaux des ministres, tandis que j’étais historiographe de France, place véritablement honorable pour un écrivain, et que j’ai sacrifiée ? Que ne me fait-il un crime d’avoir tout vu par mes yeux, tout extrait de ma main, tout rassemblé? d’avoir laissé à mon roi et à ma patrie ce monument qui ne doit paraître qu’après ma mort, et que j’ai achevé dans une terre étrangère[2] ? J’ai fait mon devoir, et je regarde encore comme un devoir de répondre aux derniers des écrivains, parce que le mépris qu’on leur doit cède au respect qu’on doit à la vérité. Voilà ce que l’auteur du Siècle de Louis XIV pourrait dire.

Il continuerait ainsi, s’il voulait prendre la peine d’instruire cet écolier :

1° Apprenez que la valeur numéraire des espèces est arbitraire, et n’est pas indifférente comme vous le dites. Le roi est le maître de faire valoir douze livres l’écu qui est à présent fixé à six ; mais, en ce cas, si vous avez six mille livres de rente sur l’Hôtel de Ville, vous ne toucherez plus que cinq cents de ces mêmes écus dont on vous comptait mille auparavant. Cette leçon est courte et nette ; tâchez d’être dans le cas d’en profiter, mais vous n’en prenez pas le chemin[3].

2° Apprenez que la plupart des évêques appelants, et ceux qui signèrent les propositions de 1682, ne s’intitulaient pas évêques par la permission du saint-siége.

3° Apprenez que jamais le marquis de Fénelon, ni M. de Plelo,

  1. Ce que Voltaire disait du cardinal de Fleury, en 1751, 1752 et 1753, dans le chapitre xxiii (alors à la fin du tome Ier, et faisant aujourd’hui le chapitre xxiv) du Siècle de Louis XIV, a été depuis reporté par l’auteur dans le chapitre iii du Précis du Siècle de Louis XV.
  2. C’est l’histoire de la guerre de 1741. La Beaumelle applaudit ironiquement Voltaire de ne vouloir faire imprimer cette œuvre qu’après sa mort.
  3. La Beaumelle répond à la leçon par une pasquinade : « Par quelle fatalité l’esprit vous manque-t-il chaque fois que vous parlez d’argent ? » s’écrie-t-il.