Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/210

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pillage, et ce qu’il y eut d’étrange, c’est que les conquérants et le peuple conquis furent pêle-mêle ensemble pendant trois jours : Français, Saxons, Bavarois, Bohémiens, étaient confondus, ne pouvant se reconnaître, sans qu’il y eût une goutte de sang répandue.

L’électeur de Bavière, qui venait d’arriver au camp, rendit compte au roi de ce succès, comme un général qui écrit à celui dont il commande les armées : il fit son entrée dans la capitale de la Bohême le jour même de sa prise, et s’y fit couronner au mois de décembre. Cependant le grand-duc, qui n’avait pu sauver cette capitale, et qui ne pouvait subsister dans les environs, se retira au sud-est de la province, et laissa à son frère, le prince Charles de Lorraine, le commandement de son armée.

Dans le même temps le roi de Prusse se rendait maître de la Moravie[1], province située entre la Bohême et la Silésie ; ainsi Marie-Thérèse semblait accablée de tous côtés. Déjà son compétiteur avait été couronné archiduc d’Autriche à Lintz ; il venait de prendre la couronne de Bohême à Prague, et de là il alla à Francfort recevoir celle d’empereur, sous le nom de Charles VII.

Le maréchal de Belle-Isle, qui l’avait suivi de Prague à Francfort, semblait être plutôt un des premiers électeurs qu’un ambassadeur de France. Il avait ménagé toutes les voix, et dirigé toutes les négociations : il recevait les honneurs dus au représentant d’un roi qui donnait la couronne impériale. L’électeur de Mayence, qui préside à l’élection, lui donnait la main dans son palais, et l’ambassadeur ne donnait la main chez lui qu’aux seuls électeurs, et prenait le pas sur tous les autres princes. Ses pleins pouvoirs furent remis en langue française : la chancellerie allemande, jusque-là, avait toujours exigé que de telles pièces fussent présentées en latin, comme étant la langue d’un gouvernement qui prend le titre d’empire romain. Charles-Albert fut élu le 4 janvier 1742, de la manière la plus tranquille et la plus solennelle : on l’aurait cru au comble de la gloire et du bonheur ; mais la fortune changea, et il devint un des plus infortunés princes de la terre par son élévation même.

  1. Voltaire passe sous silence la capitulation secrète que Frédéric avait faite avec Marie-Thérèse, et qu’il rompit alors. (G. A.)