Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/216

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y attaqua et prit la ville de Porto-Bello[1], l’entrepôt des trésors du Nouveau-Monde, la rasa et en fit un chemin ouvert par lequel les Anglais purent exercer à main armée le commerce autrefois clandestin qui avait été le sujet de la rupture. Cette expédition fut regardée par les Anglais comme un des plus grands services rendus à la nation. L’amiral fut remercié par les deux chambres du parlement : elles lui écrivirent ainsi qu’elles en avaient usé avec le duc de Marlborough après la journée d’Hochstedt. Depuis ce temps, les actions de leur compagnie du Sud augmentèrent, malgré les dépenses immenses de la nation. Les Anglais espérèrent alors de conquérir l’Amérique espagnole. Ils crurent que rien ne résisterait à l’amiral Vernon ; et lorsque, quelque temps après, cet amiral alla mettre le siège devant Carthagène, ils se hâtèrent d’en célébrer la prise : de sorte que dans le temps même que Vernon en levait le siège, ils firent frapper une médaille où l’on voyait le port et les environs de Carthagène avec cette légende : Il a pris Carthagène ; le revers représentait l’amiral Vernon, et on y lisait ces mots : Au vengeur de sa patrie. Il y a beaucoup d’exemples de ces médailles prématurées qui tromperaient la postérité si l’histoire, plus fidèle et plus exacte, ne prévenait pas de telles erreurs.

La France, qui n’avait qu’une marine faible, ne se déclarait pas alors ouvertement ; mais le ministère de France secourait les Espagnols autant qu’il était en son pouvoir.

On était en ces termes entre les Espagnols et les Anglais, quand la mort de l’empereur Charles VI mit le trouble dans l’Europe. On a vu ce que produisit en Allemagne la querelle de l’Autriche et de la Bavière. L’Italie fut aussi bientôt désolée pour cette succession autrichienne. Le Milanais était réclamé par la maison d’Espagne, Parme et Plaisance devaient revenir par le droit de naissance à un des fils de la reine née princesse de Parme. Si Philippe V avait voulu avoir le Milanais pour lui, il eût trop alarmé l’Italie. Si l’on eût destiné Parme et Plaisance à don Carlos, déjà maître de Naples et de Sicile, trop d’États réunis sous

  1. La prise de Porto-Bello, par Vernon, est du 1er décembre 1739, nouveau style, qui n’était pas encore adopté par les Anglais (voyez la note, tome XIII, page 74), et du 20 novembre, suivant l’ancien calendrier. Dans l’Histoire de la guerre de 1741, on lit, chapitre v : « L’amiral Vernon pénétra, en 1740, dans le golfe du Mexique. » Dans l’édition de 1768 du Précis, et dans toutes celles qui ont des additions marginales, on lit : « mars, 1740. » Les journaux ne parlèrent qu’en mars 1740 des événements arrives à Porto-Bello en décembre 1739 ; et Voltaire a pris par mégarde la date des journaux pour celle des événements. (B.)