Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour s’emparer de ce pays, il ne faut que marcher en force. Pour le garder, il faut veiller à droite et à gauche sur une vaste étendue de terrain, être maître du cours du Pô, depuis Casal jusqu’à Crémonde, et garder l’Oglio, rivière qui tombe des Alpes du Tyrol, ou bien avoir au moins Lodi, Crème, et Pizzighitone, pour fermer le chemin aux Allemands, qui peuvent arriver du Trentin par ce côté. Il faut enfin, surtout, avoir la communication libre, par les derrières, avec la rivière de Gênes, c’est-à-dire avec ce chemin étroit qui conduit le long de la mer, depuis Antibes, par Monaco, Vintimille, afin d’avoir une retraite en cas de malheur. Tous les postes de ce pays sont connus et marqués par autant de combats que le territoire de Flandre.

Cette campagne d’Italie, qui eut des suites si malheureuses, commença par une des plus belles manœuvres qu’on ait jamais exécutées (17 octobre 1745), et qui suffirait pour donner une gloire durable si les grandes actions n’étaient pas aujourd’hui ensevelies dans la multitude innombrable de combats, et surtout si cet événement heureux n’avait pas été suivi de désastres.

Le roi de Sardaigne, à la tête de vingt-cinq mille soldats, et le comte de Schulenbourg[1], avec un nombre presque égal d’Autrichiens, étaient retranchés dans une anse que forme le Tanaro, vers son embouchure dans le Pô, entre Valence et Alexandrie.

Le maréchal de Maillebois, qui commandait l’armée française, et le comte de Gages, général des Espagnols, ne pouvaient forcer le roi de Sardaigne et le chasser de son poste tant qu’il serait soutenu par les troupes impériales. Un fils du maréchal, jeune encore, imagine de les séparer ; et, pour y parvenir, il fallait tromper les Autrichiens. Il fait son plan, il combine tous les hasards calculés sur la distance des lieux. Si on envoie un gros détachement sur le chemin de Milan, Schulenbourg ne voudra pas laisser prendre cette ville : il marchera à son secours, il dégarnira le roi de Sardaigne, sur-le-champ le gros détachement reviendra joindre l’armée avant que les Autrichiens soient revenus, on n’aura à combattre que la moitié des troupes ennemies, cette brusque attaque les déconcertera. Tout arriva comme le jeune comte de Maillebois l’avait prévu et arrangé. Les armées française et espagnole traversent le Tanaro, ayant de l’eau jusqu’à la ceinture. Le maréchal de Maillebois surprend l’infanterie du roi de Sardaigne dans son camp, et la met en fuite. Le

  1. Neveu de Jean-Mathias, comte de Schulenbourg, cité plus bas dans le chapitre XXI, page 273.