Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/339

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naires et ses créanciers n’ont jamais été payés que de la concession faite par le roi d’une partie de la ferme du tabac, absolument étrangère à son négoce. Par cela même elle florissait à Pondichéry : car l’argent de ses retours était employé à augmenter ses fonds, à fortifier la ville, à l’embellir, à se ménager dans l’Inde des alliés utiles[1].

Dupleix, homme aussi actif qu’intelligent, et aussi méditatif que laborieux, avait dirigé longtemps le comptoir de Chandernagor, sur le Gange, dans la fertile et riche province de Bengale, à onze cents milles de Pondichéry, y avait formé un vaste établissement, bâti une ville, équipé quinze vaisseaux. C’était une conquête de génie et d’industrie, bien préférable à toutes les autres. La compagnie trouva bon que chaque particulier fît alors le commerce pour son propre avantage. L’administrateur, en la servant, acquit une immense fortune. Chacun s’enrichit. Il créa encore un autre établissement à Patna, en remontant le Gange jusqu’à trente lieues de Bénarès, cette antique école des brachmanes.

Tant de services lui méritèrent le gouvernement général des établissements français à Pondichéry, en 1742. Ce fut alors que la guerre s’alluma entre l’Angleterre et la France. On a déjà remarqué[2] que le contre-coup de ces guerres se fait toujours sentir aux extrémités du monde, en Asie et en Amérique.

Les Anglais ont, à quatre-vingt-dix milles de Pondichéry, la ville de Madras, dans la province d’Arcate. Cet établissement est pour l’Angleterre ce que Pondichéry est pour la France. Ces deux villes sont rivales ; mais le commerce est si vaste de ce monde au nôtre, l’industrie européane est si active, si supérieure à celle des Indiens, que ces deux colonies pouvaient s’enrichir sans se nuire.

Dupleix, gouverneur de Pondichéry, et chef de la nation française dans les Indes, avait proposé la neutralité à la compagnie anglaise. Rien n’était plus convenable à des commerçants, qui ne doivent point vendre des étoffes et du poivre à main armée. Le commerce est fait pour être le lien des nations, pour consoler la terre, et non pour la dévaster. L’humanité et la raison avaient fait ces offres ; la fierté et l’avarice les refusèrent. Les Anglais se flattaient, non sans vraisemblance, d’être aisément vainqueurs

  1. Les retours de 1742, année de la guerre, furent de vingt-quatre millions (G. A.)
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