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CHAPITRE XXXIII.

SUITE DES ÉVÉNEMENTS MÉMORABLES. L’ARMÉE ANGLAISE OBLIGÉE DE CAPITULER. JOURNÉE DE ROSBACH. RÉVOLUTIONS.


Le ministère de France avait déjà fait partir le maréchal de Richelieu pour commander l’armée du maréchal d’Estrées, avant qu’on eût su la victoire importante de ce général. Le maréchal de Richelieu, longtemps célèbre par les agréments de sa figure et de son esprit, et devenu plus célèbre par la défense de Gênes et par la prise de Minorque, alla combattre le duc de Cumberland ; il le poussa jusqu’à l’embouchure de l’Elbe, et là il le força à capituler avec toute son armée (8 septembre 1757). Cette capitulation, plus singulière qu’une bataille gagnée, était non moins glorieuse. L’armée du duc de Cumberland fut obligée, par écrit, de se retirer au delà de l’Elbe, et de laisser le champ libre aux Français contre le roi de Prusse. Il ravageait la Saxe, mais on ruinait aussi son pays. Le général autrichien Haddik avait surpris la ville de Berlin, et lui avait épargné le pillage moyennant huit cent mille de nos livres.

Alors la perte de ce monarque paraissait inévitable. Sa grande déroute auprès de Prague, ses troupes battues près de Landshut, à l’entrée de la Silésie, une bataille contre les Russes indécise, mais sanglante, tout l’affaiblissait.

Il pouvait être enveloppé d’un côté par l’armée du maréchal de Richelieu, et de l’autre par celle de l’empire, tandis que les Autrichiens et les Russes entraient en Silésie. (22 auguste 1757) Sa perte paraissait si certaine que le conseil aulique n’hésita pas à déclarer qu’il avait encouru la peine du ban de l’empire, et qu’il était privé de tous ses fiefs, droits, grâces, privilèges, etc. Il sembla lui-même désespérer pour lors de sa fortune, et n’envisagea plus qu’une mort glorieuse. Il fit une espèce de testament philosophique ; et telle était la liberté de son esprit, au milieu de ses malheurs, qu’il l’écrivit en vers français. Cette anecdote est unique[1].

  1. La pièce fut adressée au marquis d’Argens. En voici quelques vers :

    Ami, le sort en est jeté !
    Las de plier dans l’infortune