Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les comptoirs de France, et en remportèrent des richesses immenses, sans que la cour, aussi imbécile que pompeuse, du Grand Mogol, parût se ressentir de cet outrage, qui eût fait exterminer dans l’Inde tous les Anglais sous l’empire d’un Aurengzeb.

Enfin il n’est resté aux Français, dans cette partie du monde, que le regret d’avoir dépensé, pendant plus de quarante ans, des sommes immenses pour entretenir une compagnie qui n’a jamais fait le moindre profit, qui n’a jamais rien payé aux actionnaires et à ses créanciers du profit de son négoce ; qui, dans son administration indienne, n’a subsisté que d’un secret brigandage, et qui n’a été soutenue que par une partie de la ferme du tabac, que le roi lui accordait : exemple mémorable et peut-être inutile, du peu d’intelligence que la nation française a eu jusqu’ici du grand et ruineux commerce de l’Inde.

(Mai 1757) Tandis que les flottes et les armées anglaises ont ainsi ruiné les Français en Asie, ils les ont aussi chassés de l’Afrique. Les Français étaient maîtres du fleuve du Sénégal, qui est une branche du Niger ; ils y avaient des forts ; ils y faisaient un grand commerce de dents d’éléphants, de poudre d’or, de gomme arabique, d’ambre gris, et surtout de ces nègres que tantôt leurs princes vendent comme des animaux, et qui tantôt vendent leurs propres enfants ou se vendent eux-mêmes pour aller servir des Européens en Amérique. Les Anglais ont pris tous les forts bâtis par les Français dans ces contrées, et plus de trois millions tournois en marchandises précieuses.

Le dernier établissement que les Français avaient dans ces parages de l’Afrique était l’île de Gorée ; elle s’est rendue à discrétion (29 décembre 1758), et il ne leur est rien resté alors dans l’Afrique.

Ils ont fait de bien plus grandes pertes en Amérique. Sans entrer ici dans le détail de cent petits combats et de la perte de tous les forts l’un après l’autre, il suffit de dire que les Anglais ont pris (26 juillet 1758) Louisbourg pour la seconde fois, aussi mal fortifiée, aussi mal approvisionnée que la première. Enfin, tandis que les Anglais entraient dans Surate, à l’embouchure du fleuve Indus (2 mars 1759), ils prenaient Québec et tout le Canada, au fond de l’Amérique septentrionale ; les troupes qui ont hasardé un combat pour sauver Québec (18 septembre) ont été battues et presque détruites, malgré les efforts du général Montcalm, tué dans cette journée[1],

  1. Louis-Joseph de Montcalm-Gozon, blessé le 13 septembre, périt le 14 ; et quatre jours après tout le Canada tomba au pouvoir des Anglais. (Cl.)