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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/38

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Mais dans ce célèbre édit qui révoqua celui de Nantes, il paraît qu’on prépara un événement tout contraire au but qu’on s’était proposé. On voulait la réunion des calvinistes à l’Église dans le royaume. Gourville, homme très-judicieux, consulté par Louvois, lui avait proposé, comme on sait, de faire enfermer tous les ministres, et de ne relâcher que ceux qui, gagnés par des pensions secrètes, abjureraient en public, et serviraient à la réunion plus que des missionnaires et des soldats. Au lieu de suivre cet avis politique, il fut ordonné, par l’édit, à tous les ministres qui ne voulaient pas se convertir, de sortir du royaume dans quinze jours. C’était s’aveugler que de penser qu’en chassant les pasteurs une grande partie du troupeau ne suivrait pas. C’était bien présumer de sa puissance, et mal connaître les hommes, de croire que tant de cœurs ulcérés et tant d’imaginations échauffées par l’idée du martyre, surtout dans les pays méridionaux de la France, ne s’exposeraient pas à tout, pour aller chez les étrangers publier leur constance et la gloire de leur exil, parmi tant de nations envieuses de Louis XIV, qui tendaient les bras à ces troupes fugitives.

Le vieux chancelier Le Tellier, en signant l’édit, s’écria plein de joie : « Nunc dimittis servum tuum, Domine… quia viderunt oculi mei salutare tuum[1]. » Il ne savait pas qu’il signait un des grands malheurs de la France[2].

Louvois, son fils, se trompait encore en croyant qu’il suffirait d’un ordre de sa main pour garder toutes les frontières et toutes les côtes contre ceux qui se faisaient un devoir de la fuite. L’industrie occupée à tromper la loi est toujours plus forte que l’autorité. Il suffisait de quelques gardes gagnés, pour favoriser la foule des réfugiés. Près de cinquante mille familles, en trois ans de temps, sortirent du royaume, et furent après suivies par d’autres. Elles allèrent porter chez les étrangers les arts, les manufactures, la richesse. Presque tout le nord de l’Allemagne, pays en-

  1. Cantique de Siméon. Saint Luc, II, 29-30.
  2. Si vous lisez l’Oraison funèbre de Le Tellier, par Bossuet, ce chancelier est un juste, et un grand homme. Si vous lisez les Annales de l’abbé de Saint-Pierre, c’est un lâche et dangereux courtisan, un calomniateur adroit, dont le comte de Grammont disait, en le voyant sortir d’un entretien particulier avec le roi : « Je crois voir une fouine qui vient d’égorger des poulets, en se léchant le museau plein de leur sang. » (Note de Voltaire.) — Cette note est de 1756. (B.) — Toute la France, il faut bien le dire, applaudit à l’enregistrement de l’ordonnance de révocation. On fit des sermons, ou composa des pièces de vers, on grava des tableaux et des médailles ; on éleva même des statues en l’honneur du destructeur de l’hérésie. (G. A.)