Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/40

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tiques ; et, l’année d’après, un autre édit leur ordonna de se défaire des domestiques huguenots, afin de pouvoir les arrêter comme vagabonds. Il n’y avait rien de stable dans la manière de les persécuter, que le dessein de les opprimer pour les convertir.

Tous les temples détruits, tous les ministres bannis, il s’agissait de retenir dans la communion romaine tous ceux qui avaient changé par persuasion ou par crainte. Il en restait plus[1] de quatre cent mille dans le royaume. Ils étaient obligés d’aller à la messe et de communier. Quelques-uns, qui rejetèrent l’hostie après l’avoir reçue, furent condamnés à être brûlés vifs. Les corps de ceux qui ne voulaient pas recevoir les sacrements à la mort étaient traînés sur la claie, et jetés à la voirie.

Toute persécution fait des prosélytes, quand elle frappe pendant la chaleur de l’enthousiasme. Les calvinistes s’assemblèrent partout pour chanter leurs psaumes, malgré la peine de mort décernée contre ceux qui tiendraient des assemblées. Il y avait aussi peine de mort contre les ministres qui rentreraient dans le royaume, et cinq mille cinq cents livres de récompense pour qui les dénoncerait. Il en revint plusieurs qu’on fit périr par la corde ou par la roue[2].

  1. On a imprimé plusieurs fois qu’il y a encore en France trois millions de réformes. Cette exagération est intolérable. M. de Bâville n’en comptait pas cent mille en Languedoc, et il était exact. Il n’y en a pas quinze mille dans Paris : beaucoup de villes et des provinces entières n’en ont point. (Note de Voltaire.) — Les protestants qui vivent à Paris sont enterrés par ordre de la police. Le nombre des morts est donc connu par ses registres, et il en résulte qu’ils forment environ la dixième partie de la population, les étrangers compris. Il ne serait pas surprenant que les protestants, relégués par les lois dans les classes qui peuplent le plus, eussent beaucoup plus que doublé depuis la révocation de l’édit de Nantes.

    Bâville ne mérite aucune croyance. Il est très-vraisemblable que la terreur qu’il avait inspirée avait forcé les huguenots à sortir du Languedoc, ou à dissimuler, et à se cacher. Il était d’ailleurs intéressé à en diminuer le nombre. C’était un moyen de plaire à Louis XIV ; et pourquoi, après avoir versé tant de sang pour se frayer la route du ministère, se serait-il fait scrupule d’un mensonge ? (K.) — On porte aujourd’hui (1830) à onze ou douze cent mille le nombre des protestants dans toute la France. (B.)

  2. Toutes ces violences, qui déshonorent le règne de Louis XIV, furent exercées dans le temps où, dégoûté de Mme de Montespan, subjugué par Mme de Maintenon, il commençait à se livrer à ses confesseurs. Ces lois, qui violaient également et les premiers droits des hommes et tous les sentiments de l’humanité, étaient demandées par le clergé, et présentées par les jésuites à leur pénitent comme le moyen de réparer les péchés qu’il avait commis avec ses maîtresses. On lui proposait pour modèles Constantin, Théodose, et quelques autres scélérats du Bas-Empire. Jamais ses ministres, esclaves des prêtres et tyrans de la nation, n’osèrent lui faire connaître ni l’inutilité ni les suites cruelles de ses lois.

    La nation aidait elle-même à le tromper : au milieu des cris de ses sujets innocents, expirant sur la roue et dans les bûchers, on vantait sa justice, et même sa