Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/42

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Cette rébellion fut excitée par des prophéties. Les prédictions ont été de tout temps un moyen dont on s’est servi pour séduire les simples, et pour enflammer les fanatiques. De cent événements que la fourberie ose prédire, si la fortune en amène un seul, les autres sont oubliés, et celui-là reste comme un gage de la faveur de Dieu, et comme la preuve d’un prodige. Si aucune prédiction ne s’accomplit, on les explique, on leur donne un nouveau sens ; les enthousiastes l’adoptent, et les imbéciles le croient.

    peuple à demi sauvage, qui n’avait jamais été subjugué ni par les lois, ni par les mœurs ; livré à un intendant violent par caractère, inaccessible à tout sentiment d’humanité, mêlant le mépris et l’insulte à la cruauté, dont l’âme trouvait un plaisir barbare dans les supplices longs et recherchés, et qui, instrument ambitieux et servile du despotisme et de la superstition de son maître, voulait mériter par des meurtres et par l’oppression d’une province l’honneur d’opprimer en chef la nation.

    Quel fut le fruit des persécutions de Louis XIV ? une foule de ses meilleurs sujets emportant dans les pays étrangers leurs richesses et leur industrie, les armées de ses ennemis grossies par des régiments français, qui joignaient les fureurs du fanatisme et de la vengeance à leur valeur naturelle ; la haine de la moitié de l’Europe, une guerre civile ajoutée aux malheurs d’une guerre étrangère, la crainte de voir ses provinces livrées aux étrangers par les Français, et l’humiliante nécessité de faire un traité avec un garçon boulanger.

    Voilà ce que le clergé célébrait dans des harangues, ce que la flatterie consacrait dans des inscriptions et sur des médailles.

    Après lui, les protestants furent tranquilles et soumis. Albéroni forma inutilement le projet absurde de les engager à se soulever contre le régent, c’est-à-dire contre un prince tolérant par raison, par politique, et par caractère, pour se donner un maître pénitent des jésuites, et qui s’était soumis au joug honteux de l’Inquisition. Pendant le ministère du duc de Bourbon, l’évêque de Fréjus, qui gouvernait les affaires ecclésiastiques, fit rendre, en 1724, contre les protestants, une loi plus sévère que celle de Louis XIV ; elle n’excita point de troubles, parce qu’il n’eut garde de la faire exécuter à la rigueur. Aussi indifférent pour la religion que le régent, il ne voulait qu’obtenir le chapeau de cardinal, malgré l’opposition secrète du duc de Bourbon. Il trahissait, par cette conduite, et son pays, et le souverain qui lui avait accordé sa confiance ; mais quand le cardinalat est le prix de la trahison, quel prêtre est resté fidèle ?

    Sous Louis XV, les protestants furent traités avec modération, sans qu’on ait rien changé cependant aux lois portées contre eux : leur fortune, leur état, celui de leurs enfants, ne sont appuyés que sur la bonne foi. Ils ne peuvent faire aucun acte de religion sans encourir la peine des galères ; ils sont exclus non-seulement des places honorables, mais de la plupart des métiers. Nous devons espérer que la raison, qui à la longue triomphera du fanatisme, et la politique, qui dans tous les temps l’emporte sur la superstition, détruiront enfin ces lois. La tolérance est établie dans toute l’Europe, hors l’Italie, l’Espagne et la France ; l’Amérique appelle l’industrie, et offre la liberté, la tolérance et la fortune, à tout homme qui, ayant un métier, voudra quitter son pays ; et la politique ne permettra point de laisser subsister plus longtemps des lois qui mettent en contradiction l’amour naturel de la patrie avec l’intérêt et la conscience ; et elles pourraient amener des émigrations plus funestes que celles du siècle dernier, et nous faire perdre en peu d’années tous les avantages du commerce dont la révolution de l’Amérique doit être la source. (K.)