Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/423

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La discorde alors divisait tous les Corses. Les inimitiés entre les familles se terminaient toujours par des assassinats ; mais on se réunissait contre les Génois, et les haines particulières cédaient à la haine générale. Les Corses avaient plus que jamais besoin d’un chef qui sût diriger leur fureur, et la faire servir au bien public.

Le vieux Hyacinthe Paoli, qui les avait commandés autrefois, et qui était alors retiré à Naples, leur envoya son fils Pascal Paoli en 1755. Dès qu’il parut, il fut reconnu pour commandant général de toute l’île, quoiqu’il n’eût que vingt-neuf ans. Il ne prétendit pas le titre de roi comme Théodore, mais il le fut en effet à plusieurs égards, en se mettant à la tête d’un gouvernement démocratique.

Quelque chose qu’on ait dit de lui, il n’est pas possible que ce chef n’eût de grandes qualités. Établir un gouvernement régulier chez un peuple qui n’en voulait point, réunir sous les mêmes lois des hommes divisés et indisciplinés, former à la fois des troupes réglées, et instituer une espèce d’université qui pouvait adoucir les mœurs, établir des tribunaux de justice, mettre un frein à la fureur des assassinats et des meurtres, policer la barbarie, se faire aimer en se faisant obéir, tout cela n’était pas assurément d’un homme ordinaire. Il ne put en faire assez, ni pour rendre la Corse libre, ni pour y régner pleinement ; mais il en fit assez pour acquérir de la gloire.

Deux puissances très-différentes l’une de l’autre entrèrent dans les démêlés de Gênes et de la Corse. L’une était la cour de Rome, et l’autre celle de France. Les papes avaient prétendu autrefois la souveraineté de l’île, et on ne l’oubliait pas à Rome. Les évêques corses ayant pris le parti du sénat génois, et trois de ces évêques ayant quitté leur patrie, le pape y envoya un visiteur général qui alarma beaucoup le sénat de Gênes. Quelques sénateurs craignirent que Rome ne profitât de ces troubles pour faire revivre ses anciennes prétentions sur un pays que Gênes ne pouvait plus conserver ; cette crainte était aussi vaine que les efforts des Génois pour subjuguer les Corses. Le pape qui envoyait ce visiteur était ce même Rezzonico, qui depuis éclata si indiscrètement contre le duc de Parme : ce n’était pas un homme à conquérir des royaumes ; le sénat de Gênes ordonna qu’on empêchât le visiteur d’aborder en Corse. Il n’y arriva pas moins au printemps de 1760, Le général Paoli le harangua pour s’en faire un protecteur : il fit brûler, sous la potence, le décret du sénat ; mais il resta toujours le maître. Le visiteur ne put que donner des bénédictions, et