Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/433

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biens, et les enfants en étaient privés. Le procès ayant été fait à Naboth, quia maledixerat regi, le roi Achab se mit en possession de son héritage. David, étant averti que Miphibozeth s’était engagé dans la rébellion, donna tous ses biens à Siba, qui lui en apporta la nouvelle : Tua sint omnia quæ fuerunt Miphibozeth. »

Il s’agit de savoir qui héritera des biens de Mlle de Canillac, biens autrefois confisqués sur son père, abandonnés par le roi à un garde du trésor royal, et donnés ensuite par le garde du trésor royal à la testatrice. Et c’est sur ce procès d’une fille d’Auvergne qu’un avocat général s’en rapporte à Achab, roi d’une partie de la Palestine, qui confisqua la vigne de Naboth après avoir assassiné le propriétaire par le poignard de la justice : action abominable qui est passée en proverbe pour inspirer aux hommes l’horreur de l’usurpation. Assurément la vigne de Naboth n’avait aucun rapport avec l’héritage de Mlle de Canillac. Le meurtre et la confiscation des biens de Miphibozeth, petit-fils du roitelet juif Saül, et fils de Jonathas, ami et protecteur de David, n’ont pas une plus grande affinité avec le testament de cette demoiselle.

C’est avec cette pédanterie, avec cette démence de citations étrangères au sujet, avec cette ignorance des principes de la nature humaine, avec ces préjugés mal conçus et mal appliqués, que la jurisprudence a été traitée par des hommes qui ont eu de la réputation dans leur sphère. On laisse aux lecteurs à se dire ce qu’il est superflu qu’on leur dise.

[1] Si un jour les lois humaines adoucissent en France quelques usages trop rigoureux, sans pourtant donner des facilités au crime, il est à croire qu’on réformera aussi la procédure dans les articles où les rédacteurs ont paru se livrer à un zèle trop sévère. L’ordonnance criminelle ne devrait-elle pas être aussi favorable à l’innocent que terrible au coupable ? En Angleterre, un simple emprisonnement fait mal à propos est réparé par le ministre qui l’a ordonné ; mais en France, l’innocent qui a été plongé dans les cachots, qui a été appliqué à la torture, n’a nulle consolation à espérer, nul dommage à répéter contre personne, quand c’est le ministère public qui l’a poursuivi ; il reste flétri pour jamais dans la société. L’innocent flétri ! et pourquoi ? parce que ses os ont été brisés ! il ne devrait exciter que la pitié et le respect. La recherche des crimes exige des rigueurs : c’est

  1. Cet alinéa et les quatre qui le suivent sont extraits du paragraphe xxii du Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines.