Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/44

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éloquent et plein de zèle, très-estimé chez les étrangers, retourna dans sa patrie en 1698, y fut convaincu non seulement d’avoir rempli son ministère malgré les édits, mais d’avoir eu, dix ans auparavant, des correspondances avec les ennemis de l’État. En effet il avait formé le projet d’introduire des troupes anglaises et savoyardes dans le Languedoc. Ce projet, écrit de sa main, et adressé au duc de Schomberg, avait été intercepté depuis longtemps, et était entre les mains de l’intendant de la province. Brousson, errant de ville en ville, fut saisi à oléron et transféré à la citadelle de Montpellier. L’intendant et ses juges l’interrogèrent ; il répondit qu’il était l’apôtre de Jésus-Christ, qu’il avait reçu le Saint-Esprit, qu’il ne devait pas trahir le dépôt de la loi, que son devoir était de distribuer le pain de la parole à ses frères. On lui demanda si les apôtres avaient écrit des projets pour faire révolter des provinces ; on lui montra son fatal écrit, et les juges le condamnèrent tous d’une voix à être roué vif. (1698) Il mourut comme mouraient les premiers martyrs. Toute la secte, loin de le regarder comme un criminel d’État, ne vit en lui qu’un saint qui avait scellé sa foi de son sang ; et on imprima le Martyre de M. Brousson[1].

Alors les prophètes se multiplient, et l’esprit de fureur redouble. Il arrive malheureusement qu’en 1703 un abbé de la maison du Chaila, inspecteur des missions, obtient un ordre de la cour de faire enfermer dans un couvent deux filles d’un gentilhomme nouveau converti. Au lieu de les conduire au couvent, il les mène d’abord dans son château. Les calvinistes s’attroupent : on enfonce les portes ; on délivre les deux filles et quelques autres prisonniers. Les séditieux saisissent l’abbé du Chaila ; ils lui offrent la vie s’il veut être de leur religion, il la refuse. Un prophète lui crie : « Meurs donc, l’esprit te condamne, ton péché est contre toi ; » et il est tué à coups de fusil. Aussitôt après ils saisissent les receveurs de la capitation, et les pendent avec leurs rôles au cou. De là ils se jettent sur les prêtres qu’ils rencontrent, et les massacrent. On les poursuit : ils se retirent au milieu des bois et des rochers. Leur nombre s’accroît : leurs prophètes et leurs prophétesses leur annoncent de la part de Dieu le rétablissement de Jérusalem et la chute de Babylone. Un abbé de La Bourlie paraît tout à coup au milieu d’eux dans leurs retraites sauvages, et leur apporte de l’argent et des armes.

C’était le fils du marquis de Guiscard, sous-gouverneur du roi,

  1. Un Abrégé de la vie de Claude Brousson se trouve en tête de ses Lettres et opuscules, Utrecht, 1701, in-8o.