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CHAPITRE II.


menacer le roi de France de le déposer ; et surtout s’il s’agissait d’avoir de l’argent[1].

Les villes commençaient alors à devenir riches, depuis que plusieurs des bourgeois avaient acheté leurs franchises, qu’ils n’étaient plus serfs mainmortables, et que le souverain ne saisissait plus leur héritage quand ils mouraient sans enfants. Quelques seigneurs, à l’exemple des rois, affranchirent aussi leurs sujets, et leur firent payer leur liberté.

(28 mars 1302) Les communes, sous le nom de tiers état, assistèrent donc par députés aux grands parlements ou états généraux tenus dans l’église de Notre-Dame. On y avait élevé un trône pour le roi ; il avait auprès de lui le comte d’Évreux son frère, le comte d’Artois son cousin, les ducs de Bourgogne, de Bretagne, de Lorraine, les comtes de Hainaut, de Hollande, de Luxembourg, de Saint-Pol, de Dreux, de la Marche, de Boulogne, de Nevers : c’était une assemblée de souverains. Les évêques, dont on ne nous a pas dit les noms, étaient en très-petit nombre, soit qu’ils craignissent encore le pape, soit que plutôt ils fussent de son parti.

Les députés du peuple occupaient en grand nombre un des côtés de l’église. Il est triste ([u’on ne nous ait pas conservé les noms de ces députés. On sait seulement qu’ils présentèrent à genoux une supplique au roi, dans laquelle ils disaient : « C’est grande abomination d’ouïr que ce Boniface entende malement, comme bougre, cette parole d’espéritualité : CE QUE TU LIERAS EN TERRE SERA LIÉ AU CIEL ; comme si cela signifiait que s’il mettait un homme en prison temporelle, Dieu, pour ce, le mettrait en prison au ciel. »

Au reste, il faut que le tiers état ait fait rédiger ces paroles par quelque clerc ; elles furent envoyées à Rome en latin : car à Rome on n’entendait pas alors le jargon grossier des Français ; et ces paroles furent sans doute traduites depuis en français thiois[2], telles que nous les voyons.

Les communes entraient dès lors au parlement d’Angleterre : ainsi les rois de France ne firent qu’imiter une coutume utile, déjà établie chez leurs voisins. Les assemblées de la nation anglaise continuèrent toujours sous le nom de parlements, et les parlements de France continuèrent sous le nom d’états généraux.

Le même Philippe le Bel, en 1305, établit ce qu’il s’était déjà

  1. Voyez tome XI, page 519 et suivantes.
  2. Langue teutonne. (B.)