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CHAPITRE XIX.


Meynier, baron d’Oppède, premier président du parlement de Provence, obtint des lettres de François Ier, qui portaient ordre d’agir selon les lois contre ces hommes agrestes ; quibus in eos legibus agatur, dit de Thou.

Le parlement de Provence commença par condamner dix-neuf habitants de Mérindol, leurs femmes et leurs enfants, à être brûlés sans ouïr aucun d’eux ; ils étaient errants dans les campagnes voisines. Cet arrêt alarma tout le canton. Quelques paysans prirent les armes, et pillèrent un couvent de carmes, sur les terres d’Avignon.

Le président d’Oppède demanda des troupes. L’évêque de Cavaillon, sujet du pape, commença par amener quelques soldats ; il se mit à leur tête, saccagea quelques maisons, et tua quelques personnes. Ceux qu’il poursuivait se retirèrent sur les terres de France. Ils y trouvèrent trois mille soldats, conduits par le premier président d’Oppède, qui commandait dans la province en l’absence du gouverneur. L’avocat général faisait l’office de major dans cette armée. C’est à cet avocat qu’on amenait les prisonniers. Il leur faisait réciter le Pater noster et l’Ave Maria, pour juger s’ils étaient hérétiques ; et quand ils récitaient mal ces prières, il criait tolle et crucifige, et les faisait arquebuser à ses pieds. Le soldat français est quelquefois bien cruel, et quand la religion vient encore augmenter cette cruauté, il n’y a plus de bornes.

Il fut prouvé qu’en brûlant les bourgs de Mérindol et de Cabrières avec les villages d’alentour, les exécuteurs violèrent jusqu’à des filles de huit à neuf ans entre les bras de leurs mères, et massacrèrent ensuite les mères avec leurs filles. On enfermait pêle-mêle hommes, femmes, enfants, dans des granges auxquelles on mettait le feu, et tout était réduit en cendres. Le peu qu’on épargna fut vendu par les soldats à des capitaines de galères comme des esclaves. Toute la contrée demeura déserte, et la terre, arrosée de sang, resta sans culture.

Cet événement arriva en 1545. Plusieurs seigneurs de ces domaines sanglants et dévastés, se trouvant privés de leurs biens par cette exécution, présentèrent requête à Henri II contre le président d’Oppède, le président La Font, les conseillers Tributi, Badet, et l’avocat général Guérin.

La cause fut portée, sous Henri II, en 1550, au tribunal du grand conseil. Il s’agissait d’abord de savoir s’il y avait lieu de plaider contre le parlement d’Aix. Le grand conseil jugea qu’on devait évoquer la cause, et elle fut renvoyée au parlement de