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CHAPITRE XXVIII.


pape. Elle fut obligée d’envoyer demander la paix à Jeanne de Navarre, mère de Henri IV. L’amiral Coligny, chef du parti au nom de ce prince, était très-lassé de la guerre : la cour enfin se crut heureuse de revenir au système du chancelier de L’Hospital ; elle abolit tous les édits nouveaux qui ôtaient aux calvinistes leurs emplois et la liberté de conscience ; on leur laissa leurs temples dans Paris et à la Cour. On leur permit même dans le Languedoc de ne plus dépendre du parlement de Toulouse, qui avait fait trancher la tête au calviniste Rapin, envoyé du roi lui-même. Ils pouvaient porter toutes leurs causes, des juridictions subalternes du Languedoc aux maîtres des requêtes de l’hôtel. Ils pouvaient, dans les parlements de Rouen, de Dijon, d’Aix, de Grenoble, de Rennes, récuser à leur choix six juges, soit présidents, soit conseillers, et quatre dans Bordeaux. On leur abandonnait pour deux ans les villes de la Rochelle, Montauban, Cognac, et la Charité : c’était plus qu’on n’avait jamais fait pour eux ; et cependant l’édit fut enregistré au parlement de Paris et par tous les autres sans aucune représentation.

La misère publique, causée par la guerre et devenue extrême, fut la cause de ce consentement général. Cette paix, qu’on appela mal assise et boiteuse[1], fut conclue le 15 auguste 1570. La cour de Rome ne murmura point ; son silence fit penser qu’elle était instruite des desseins secrets de Catherine de Médicis et de Charles IX, son fils. La cour accordait des conditions trop favorables aux protestants pour qu’elles fussent sincères. Le dessein était pris d’exterminer pendant la paix ceux qu’on n’avait pu détruire par la guerre. Sans cela, il n’eût pas été naturel que le roi pressât l’amiral Coligny de venir à la cour, qu’on l’accablât de grâces extraordinaires, et qu’on rendît sa place dans le conseil au même homme qu’on avait pendu en effigie et dont la tête était proscrite. On lui permit même d’avoir auprès de lui cinquante gentilshommes dans Paris : c’était probablement cinquante victimes de plus qu’on faisait tomber dans le piége.

Enfin arriva la journée de la Saint-Barthélemy[2], préparée depuis deux années entières : journée dans laquelle une partie de la nation massacra l’autre, où l’on vit les assassins poursuivre les proscrits jusque sous les lits et dans les bras des princesses qui intercédaient en vain pour les défendre, où enfin Charles IX lui-

  1. Cette paix fut ainsi appelée, parce que, dit Daniel, elle avait été conclue, au nom du roi, par les sieurs de Biron et de Mesmes, dont le premier était boiteux, et l’autre portait le nom de sa seigneurie de Malassise.
  2. 24 août 1572. (Note de Voltaire.)