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CHAPITRE XXVIII.


ancien préjugé faisait penser que le sel ôte à la terre sa fécondité : c’est précisément tout le contraire ; mais l’ignorance des hommes égalait alors leur férocité.

Les enfants de Coligny, quoique nés du sang le plus illustre, furent déclarés roturiers[1], privés non-seulement de tous leurs biens, mais de tous les droits de citoyens, et incapables de tester. Enfin le parlement ordonna qu’on ferait tous les ans à Paris une procession pour rendre grâces à Dieu des massacres, et pour en célébrer la mémoire. Cette procession ne se fit point parce que les temps changèrent, et cette honte fut du moins épargnée à la nation.

Par un autre arrêt du même jour, deux gentilshommes, amis de l’amiral, Briquemaut et Cavagnes, échappés aux assassins de la Saint-Barthélemy, furent condamnés à être pendus comme complices de la prétendue conspiration ; ils furent traînés le même jour dans un tombereau à la Grève, avec l’effigie de l’amiral. De Thou assure que le roi et Catherine sa mère vinrent jouir de ce spectacle à l’Hôtel de Ville, et qu’ils y traînèrent le roi de Navarre, notre Henri IV.

La cour avait d’abord écrit dans plusieurs provinces que les massacres de Paris n’avaient été qu’un léger tumulte excité par la conspiration de l’amiral ; mais, par un second courrier, on envoya dans toutes les provinces un ordre exprès de traiter les protestants comme on les avait traités à Paris[2].

Les peuples de Lyon et de Bordeaux furent ceux qui imitèrent la fureur des Parisiens avec le plus de barbarie. Un jésuite nommé Edmond Ogier excitait le peuple de Bordeaux au carnage, un crucifix à la main. Il mena lui-même les assassins chez deux conseillers au parlement dont il croyait avoir à se plaindre, et qu’il lit égorger sous ses yeux[3].

Le cardinal de Lorraine était alors à Rome. La cour lui dépêcha un gentilhomme pour lui porter ces nouvelles. Le cardinal lui fit sur-le-champ présent de mille écus d’or. Le pape Grégoire XIII fit incontinent tirer le canon du château Saint-Ange ;

  1. On a vu, tome XII, page 472, que Philippe II accorda à la famille de l’assassin Gérard des lettres de noblesse dont elle jouit longtemps.
  2. Voyez, dans le tome VIII, lEssai sur les Guerres civiles de France. Une lettre de Charles IX, dont une copie fait partie du manuscrit de la Bibliothèque du roi, intitulé Lettres et Dépêches du roi à monsieur de Mandelot, prouve qu’on avait envoyé dans les provinces des hommes chargés d’ordres verbaux et secrets tout contraires aux dépêches publiques qui avaient été adressées aux gouverneurs. (B.)
  3. Ils se nommaient Guilloche et Sevin. (Note de Voltaire.)