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CHAPITRE XXXIII.


Le duc arriva dans Aix le 14 novembre[1]. On lui présenta le dais, comme au roi ; tous les membres du parlement lui baisèrent la main. Honoré du Laurens porta la parole pour toute la compagnie ; on le reconnut pour protecteur de la province, et on lui prêta serment de fidélité.

Le parlement de Grenoble était alors partagé : ceux qui étaient fidèles au roi s’étaient retirés au Pertuis ; mais Lesdiguières, qui fut depuis connétable ayant pris la ville, le parlement se réunit, et n’administra plus la justice qu’au nom du roi.

Le parlement de Rouen se trouvait dans une situation toute semblable à celle qu’éprouvait le parlement de Paris ; entièrement dominé par la faction de la Ligue, et à la merci des troupes espagnoles, il eut le malheur de rendre l’arrêt suivant le 1er janvier 1592 :

« La cour a fait et fait très-expresses inhibitions et défenses à toutes personnes, de quelque état, dignité et condition qu’elles soient, sans nul excepter, de favoriser, en aucun acte et manière que ce soit, le parti de Henri de Bourbon ; mais s’en désister incontinent, à peine d’être pendus et étranglés. Ordonne ladite cour que monition générale sera octroyée au procureur général, nemine dempto, pour informer contre ceux qui favoriseront ledit Henri de Bourbon et ses adhérents... est ordonné que par les places publiques seront plantées potences pour y pendre ceux qui seront si malheureux que d’attenter contre leur patrie. »

Il n’y eut que le parlement du roi, séant tantôt à Tours, tantôt à Châlons[2], qui pût donner un libre cours à ses sentiments patriotiques. Le pape Grégoire XIV, à son avènement au pontificat, avait d’abord envoyé un nonce à la Ligue pour seconder le cardinal Cajetan, qui faisait à Paris les fonctions de légat. Ce nonce s’appelait Landriano ; il apportait des bulles qui renouvelaient les excommunications et les monitoires contre Henri III et Henri IV.

Le petit parlement de Châlons, qui n’avait pas même alors de président à sa tête, déploya toute la vigueur que les autres auraient montrée s’ils avaient été ou plus libres, ou moins séduits. Il décréta de prise de corps Landriano, soi-disant nonce du pape, qui avait osé entrer dans le royaume sans la permission du roi, le fit citer trois jours de marché à son de trompe, accorda dix mille livres de récompense à qui le livrerait à la justice.

  1. 1591. (Note de Voltaire.)
  2. C’était la portion du parlement de Paris, laquelle, étant demeurée fidèle au parti du roi, fut transférée à Tours, puis à Châlons. (G. A.)