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ABJURATION DE HENRI IV.


suprême, sous le titre de protecteur et de lieutenant général de l’État royal de France[1].

Dans cette incertitude des états généraux, il se formait plusieurs partis : celui d’Espagne et de Rome était encore le plus considérable ; mais les meilleurs citoyens, parmi lesquels on comptait plusieurs membres du parlement, étaient en secret pour Henri IV, et penchaient à le reconnaître pour roi, de quelque religion qu’il pût être : ils croyaient qu’il tenait son droit à la couronne de la nature, qui rend tout homme héritier du bien de ses ancêtres.

Si on ne doit point demander à un citoyen ce qu’il croit de l’eucharistie et de la confession pour qu’il jouisse des biens de son père, à plus forte raison ne devait-on pas demander cette condition à l’héritier naturel de tant de rois. Henri IV n’exigeait point des ligueurs qu’ils se lissent protestants ; pourquoi vouloir que Henri IV se fît catholique ? pourquoi gêner la conscience du meilleur des hommes et du plus brave des princes, qui ne gênait la conscience de personne ?

Tels étaient les sentiments des gens raisonnables, et c’est toujours le plus petit nombre.

Une grande partie du peuple, qui sentait sa misère et qui ne raisonnait point, souhaitait ardemment Henri IV pour roi, mais ne le voulait que catholique. Pressé à la fois par l’équité, qui tôt ou tard parle au cœur de l’homme, mais encore plus dominé par la Sorbonne et par les prêtres, partagé entre la superstition et son

  1. À la mort du duc de Guise, le parlement était composé d’environ cent quatre-vingts membres. Bussy en met en prison cinquante, les plus connus par leur fidélité au roi et par leur courage. Brisson se voit forcé à regret de paraître ligueur. Larcher et lui sont pendus peu de temps après, et, en 1593, le parlement rend un arrêt pour le maintien de la loi salique. On peut conclure de ces faits que le parti de Henri IV, le parti des lois et de la justice dominait dans le parlement ; et que si cette compagnie eût été libre, elle ne se fut pas écartée de la fidélité qu’elle devait au roi. Le fanatisme de quelques membres, la corruption de quelques autres, vendus aux Guises et à l’Espagne, la terreur du reste, la dispersion ou la mort de tous ceux qui avaient du courage, furent cause que ce débris du parlement, renfermé dans Paris, rendit des arrêts contraires aux principes reconnus de la magistrature. Cependant l’arrêt qui reconnaissait pour roi le cardinal de Bourbon conservait la succession dans la ligne catholique ; et il faut songer que depuis plusieurs siècles l’idée qu’un prince hérétique perd ses droits au trône était celle de toute l’Europe. Les protestants eux-mêmes n’étaient pas éloignés de cette doctrine ; aussi sévères contre l’hérésie que les plus zélés partisans de Rome, ils se bornaient à soutenir que la doctrine qu’ils prêchaient ne devait pas être regardée comme hérétique. On voit enfin que le parlement profita, pour déclarer la loi salique inviolable, du premier moment où il put faire cette déclaration sans s’exposer à la violence des ligueurs. (K.)