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HENRI IV ASSASSINÉ PAR JEAN CHÂTEL.


faire garder la maison du cardinal légat, de peur qu’elle ne fût pillée ; il pria ce ministre de venir le voir : le légat refusa de lui rendre ce devoir ; il ne regardait Henri ni comme roi ni comme catholique, et sa raison était que ce prince n’avait point été absous par le pape. Ce préjugé était enraciné chez tous les prêtres, excepté dans le petit nombre de ceux qui se souvenaient qu’ils étaient Français avant d’être ecclésiastiques.

S’il ne suffit pas de se repentir pour obtenir de Dieu miséricorde, s’il est nécessaire qu’un homme soit absous par un autre homme, Henri IV l’avait été par l’archevêque de Bourges. On ne voit pas ce que l’absolution d’un Italien pouvait ajouter à celle d’un Français, à moins que cet Italien ne fût le maître de toutes les consciences de l’univers. Ou l’archevêque de Bourges avait le droit d’ouvrir le ciel à Henri IV, ou le pape ne l’avait pas ; et quand ni l’un ni l’autre n’auraient eu cette puissance, Henri IV n’était pas moins roi par sa naissance et par sa valeur. C’était bien là le cas d’en appeler comme d’abus. Henri IV, affermi sur le trône, n’aurait pas eu besoin de la cour de Rome, et tous les parlements l’auraient déclaré roi légitime et bon catholique sans consulter le pape ; mais on a déjà vu ce que peuvent les préjugés.

Henri IV fut réduit à demander pardon à l’évêque de Rome, Aldobrandin, nommé Clément VIII, de s’être fait absoudre par l’évêque de Bourges, alléguant qu’il n’avait commis cette faute que pressé par la nécessité et par le temps, le suppliant de le recevoir au nombre de ses enfants. Ce fut par le duc de Nevers, son ambassadeur, qu’il fit porter ces paroles ; mais le pape ne voulut point recevoir le duc de Nevers comme ambassadeur de Henri IV ; il l’admit à lui baiser les pieds comme un particulier. Aldobrandin, par cette dureté, faisait valoir son autorité pontificale, et montrait en même temps sa faiblesse. On voyait dans toutes ses démarches sa crainte de déplaire à Philippe II, autant que la fierté d’un pape. Le duc de Nevers ne recevait de réponse à ses mémoires que par le jésuite Tolet, depuis peu promu au cardinalat.

Il n’est pas inutile d’observer les raisons que ce jésuite cardinal alléguait au duc de Nevers : « Jésus-Christ, lui disait-il, n’est pas obligé de remettre les errants dans le bon chemin ; il leur a commandé de s’adresser à ses disciples : c’est ainsi que saint André en usa avec les Gentils[1]. »

  1. De Thou, livre CVIII. (Note de Voltaire.)