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CHAPITRE XL.


qu’il y eut de grands débats dans le parlement pour la vérification. La compagnie était partagée encre ceux qui, ayant été longtemps du parti de la Ligue, conservaient encore leurs anciens sentiments sur ce qui concernait les affaires de la religion, et ceux qui, ayant été auprès du roi à Tours et à Châlons, connaissaient mieux sa personne et les besoins de l’État. L’éloquence et la sagesse de deux magistrats ramenèrent tous les esprits. Un conseiller nommé Coqueley, autrefois ligueur violent, et depuis détrompé, fit un tableau si touchant des malheurs où la guerre civile avait réduit la France, et du bonheur attaché à l’esprit de tolérance, que tous les cœurs en furent émus. Mais il y avait dans le parlement des hommes très-savants dans les lois, qui, trop frappés des anciennes lois sévères des deux Théodoses contre les hérétiques, pensaient que la France devait se conduire par les institutions de ces empereurs.

Le président Auguste de Thou, encore plus savant qu’eux, les battit par leurs propres armes. « L’empereur Justin, leur dit-il, voulut extirper l’arianisme dans l’Orient ; il crut y parvenir en dépouillant les ariens de leurs églises. Que fit alors le grand Théodoric, maître de Rome et d’Italie ? Il envoya l’évêque de Rome Jean Ier avec un consul et deux patrices en ambassade à Constantinople, déclarer à Justin que s’il persécutait ceux qu’on appelait ariens, Théodoric ferait mourir ceux qui se nommaient seuls catholiques. » Cette déclaration arrêta l’empereur, et il n’y eut alors de persécution ni dans l’Orient ni dans l’Occident.

Un si grand exemple rapporté par un homme tel que de Thou, l’image frappante d’un pape allant lui-même de Rome à Constantinople parler en faveur des hérétiques, firent une si puissante impression sur les esprits que l’édit de Nantes passa tout d’une voix, et fut ensuite enregistré dans tous les parlements du royaume[1].

Henri IV donnait en même temps[2] la paix à la religion et à l’État. Il faisait alors le traité de Vervins avec le roi d’Espagne. Ce fut le premier traité qui fut avantageux à la France. La paix de

  1. L’édit de Nantes avait les mêmes inconvénients que les édits de pacification du chancelier de L’Hospital. Ce n’était pas une loi de tolérance destinée à maintenir tous les membres de l’État dans le droit de professer librement la croyance et le culte qu’ils ont adoptés, droit donné par la nature, droit auquel jamais un homme n’a pu renoncer sans être fou, et dont par conséquent aucune loi positive ne peut légitimement priver un seul citoyen, fût-elle portée du consentement unanime de tous les autres : l’édit de Nantes n’était qu’un traité de paix entre les sectateurs des deux religions, et par conséquent il ne pouvait subsister qu’aussi longtemps que les forces des deux partis se contre-balanceraient.
  2. 7 juin 1598. (Note de Voltaire.)