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CHAPITRE LXVII.


Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que le premier président de Maupeou lui ayant demandé « s’il croyait que la religion permettait d’assassiner les rois », il dit par trois fois « qu’il n’avait rien à répondre ».

Après la lecture de son arrêt, prononcé en présence de cinq princes du sang, de vingt-deux ducs et pairs, de douze présidents à mortier, de sept conseillers d’honneur, de quatre maîtres des requêtes, et de dix-neuf conseillers de grand’chambre, il fut appliqué à la question des coins qu’on enfonce entre les genoux serrés par deux planches ; il commença par s’écrier : « C’est ce coquin d’archevêque qui est cause de tout. » Ensuite il énonça que c’était le nommé Gautier, homme d’affaires de M. de Ferrières, frère d’un conseiller au parlement, qui lui avait dit, en présence de ce même Ferrières, « qu’on ne pouvait finir ces querelles qu’en tuant le roi » ; qu’il demeurait dans la même rue que Gautier ; qu’il lui avait entendu tenir ce discours dix fois, et ajouter « que c’était une œuvre méritoire ».

Au huitième et dernier coin, il répéta encore qu’il avait été inspiré par les discours de ce Gautier, et par ceux qu’il avait entendus dans le palais. Immédiatement après la question, on lui confronta Dominique-François Gautier, qui dit d’abord n’avoir point de reproches à lui faire, mais qui nia toute sa déposition. On lui confronta aussi le sieur Ferrières : celui-ci convint que Damiens lui avait apporté quelquefois des arrêts du parlement, et justifia son domestique Gautier autant qu’il le put.

On mit dans les préparatifs du supplice de ce misérable, et dans son exécution, un appareil et une solennité sans exemple. On avait entouré de palissades un espace de cent pieds en carré, qui touchait à la grande porte de l’Hôtel de Ville. Cet espace était entouré en dedans et en dehors de tout le guet de Paris. Les gardes françaises occupaient toutes les avenues, et des corps de gardes suisses étaient répandus dans toute la ville. Le prisonnier fut placé, vers les cinq heures[1], sur un échafaud de huit pieds et demi carrés. On le lia avec de grosses cordes retenues par des cercles de fer qui assujettissaient ses bras et ses cuisses. On commença par lui brûler la main dans un brasier rempli de soufre allumé. Ensuite il fut tenaillé avec de grosses pinces ardentes, aux bras, aux cuisses, et à la poitrine. On lui versa du plomb fondu avec de la poix-résine et de l’huile bouillante sur toutes ses plaies. Ces supplices réitérés lui arrachaient les plus affreux

  1. 28 mars 1757. (Note de Voltaire.)