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LIVRE PREMIER.


conseiller d’État Piper était auprès de lui ; le roi paraissait abîmé dans une rêverie profonde. « Puis-je prendre la liberté, lui dit Piper, de demander à Votre Majesté à quoi elle songe si sérieusement ? — Je songe, répondit le prince, que je me sens digne de commander à ces braves gens, et je voudrais que ni eux ni moi ne reçussions l’ordre d’une femme. » Piper saisit dans le moment l’occasion de faire une grande fortune. Il n’avait pas assez de crédit pour oser se charger lui-même de l’entreprise dangereuse d’ôter la régence à la reine, et d’avancer la majorité du roi ; il proposa cette négociation au comte Axel Sparre, homme ardent, et qui cherchait à se donner de la considération : il le flatta de la confiance du roi. Sparre le crut, se chargea de tout, et ne travailla que pour Piper. Les conseillers de la régence furent bientôt persuadés. C’était à qui précipiterait l’exécution de ce dessein pour s’en faire un mérite auprès du roi.

Ils allèrent en corps en faire la proposition à la reine, qui ne s’attendait pas à une pareille déclaration. Les états généraux étaient assemblés alors. Les conseillers de la régence y proposèrent l’affaire : il n’y eut pas une voix contre ; la chose fut emportée d’une rapidité que rien ne pouvait arrêter, de sorte que Charles XII souhaita de régner, et en trois jours les états lui déférèrent le gouvernement. Le pouvoir de la reine et son crédit tombèrent en un instant. Elle mena depuis une vie privée, plus sortable à son âge, quoique moins à son humeur. Le roi fut couronné le 24 décembre suivant. Il fit son entrée dans Stockholm sur un cheval alezan, ferré d’argent, ayant le sceptre à la main et la couronne en tête, aux acclamations de tout un peuple, idolâtre de ce qui est nouveau, et concevant toujours de grandes espérances d’un jeune prince.

L’archevêque d’Upsal est en possession de faire la cérémonie du sacre et du couronnement : c’est, de tant de droits que ses prédécesseurs s’étaient arrogés, presque le seul qui lui reste. Après avoir, selon l’usage, donné l’onction au prince, il tenait entre ses mains la couronne pour la lui remettre sur la tête ; Charles l’arracha des mains de l’archevêque, et se couronna lui-même[1] en regardant fièrement le prélat. La multitude, à qui tout air de grandeur impose toujours, applaudit à l’action du roi. Ceux mêmes qui avaient le plus gémi sous le despotisme du père se laissèrent entraîner à louer dans le fils cette fierté qui était l’augure de leur servitude.

  1. Napoléon a fait de même en Italie et à Paris.