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HISTOIRE DE CHARLES XII.


Silésie, attendant avec impatience la couronne qu’avait portée son père. Il était un jour à la chasse, à quelques lieues de Breslau, avec le prince Constantin, l’un de ses frères ; trente cavaliers saxons, envoyés secrètement par le roi Auguste, sortent tout à coup d’un bois voisin, entourent les deux princes, et les enlèvent sans résistance. On avait préparé des chevaux de relais, sur lesquels ils furent sur-le-champ conduits à Leipsick, où on les enferma étroitement. Ce coup dérangea les mesures de Charles, du cardinal et de l’assemblée de Varsovie.

La fortune, qui se joue des têtes couronnées, mit presque dans le même temps le roi Auguste sur le point d’être pris lui-même. Il était à table, à trois lieues de Cracovie, se reposant sur une garde avancée, et postée à quelque distance, lorsque le général Rehnsköld parut subitement, après avoir enlevé cette garde. Le roi de Pologne n’eut que le temps de monter à cheval, lui onzième. Le général Rehnsköld le poursuivit pendant quatre jours, prêt de le saisir à tout moment. Le roi fuit jusqu’à Sandomir : le général suédois l’y suivit encore, et ce ne fut que par un bonheur singulier que ce prince échappa.

Pendant tout ce temps le parti du roi Auguste traitait celui du cardinal, et en était traité réciproquement de traître à la patrie. L’armée de la couronne était partagée entre les deux factions. Auguste, forcé enfin d’accepter le secours moscovite, se repentit de n’y avoir pas eu recours assez tôt. Il courait tantôt en Saxe, où ses ressources étaient épuisées, tantôt il retournait en Pologne, où l’on n’osait le servir. D’un autre côté, le roi de Suède, victorieux et tranquille, régnait en effet en Pologne.

Le comte Piper, qui avait dans l’esprit autant de politique que son maître avait de grandeur dans le sien, proposa alors à Charles XII de prendre pour lui-même la couronne de Pologne. Il lui représentait combien l’exécution en était facile avec une armée victorieuse et un parti puissant dans le cœur d’un royaume qui lui était déjà soumis. Il le tentait par le titre de défenseur de la religion évangélique, nom qui flattait l’ambition de Charles. Il était aisé, disait-il, de faire en Pologne ce que Gustave Vasa avait fait en Suède, d’y établir le luthéranisme, et de rompre les chaînes du peuple, esclave de la noblesse et du clergé. Charles fut tenté un moment ; mais la gloire était son idole. Il lui sacrifia son intérêt et le plaisir qu’il eût eu d’enlever la Pologne au pape. Il dit au comte Piper qu’il était plus flatté de donner que de gagner des royaumes ; il ajouta en souriant : « Vous étiez fait pour être le ministre d’un prince italien. »