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HISTOIRE DE CHARLES XII.
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au roi comme le présent le plus agréable qu’il pût lui faire[1] ; non que la fierté ottomane prétendît rendre hommage à la gloire de Charles XII, mais parce que le sultan, ennemi naturel des empereurs de Moscovie et d’Allemagne, voulait se fortifier contre eux de l’amitié de la Suède et de l’alliance de la Pologne. L’ambassadeur complimenta Stanislas sur son avènement : ainsi ce roi fut reconnu en peu de temps par l’Allemagne, la France, l’Angleterre, l’Espagne, et la Turquie. Il n’y eut que le pape qui voulut attendre, pour le reconnaître, que le temps eût affermi sur sa tête cette couronne qu’une disgrâce pouvait faire tomber.

À peine Charles eut-il donné audience à l’ambassadeur de la Porte-Ottomane qu’il courut chercher les Moscovites. Les troupes du czar étaient sorties de Pologne, et y étaient rentrées plus de vingt fois pendant le cours de la guerre : ce pays, ouvert de toutes parts, n’ayant point de places fortes qui coupent la retraite à une armée, laissait aux Russes la liberté de reparaître souvent au même endroit où ils avaient été battus, et même de pénétrer dans le pays aussi avant que le vainqueur. Pendant le séjour de Charles en Saxe, le czar s’était avancé jusqu’à Léopol, à l’extrémité méridionale de la Pologne. Il était alors vers le nord, à Grodno en Lithuanie, à cent lieues de Léopol.

Charles laissa en Pologne Stanislas, qui, assisté de dix mille Suédois et de ses nouveaux sujets, avait à conserver son nouveau royaume contre les ennemis étrangers et domestiques : pour lui, il se mit à la tête de sa cavalerie, et marcha vers Grodno, au milieu des glaces, au mois de janvier 1708.

Il avait déjà passé le Niemen, à deux lieues de la ville ; et le czar ne savait encore rien de sa marche. À la première nouvelle que les Suédois arrivent, le czar sort par la porte du nord, et Charles entre par celle qui est au midi. Le roi n’avait avec lui que six cents gardes ; le reste n’avait pu le suivre[2]. Le czar fuyait

  1. Ici l’auteur s’est mépris : car ce n’était pas l’ambassadeur turc qui présenta au roi des esclaves faits par les Moscovites ; mais c’était le roi de Suède qui, lorsqu’il avait pris Léopol, y avait trouvé cent esclaves turcs, pris autrefois dans les guerres avec la Pologne, et leur avait donné la liberté, de l’argent, des habits magnifiques, et une escorte jusqu’aux frontières de la Turquie. L’ambassadeur turc offrit au roi une alliance avec son maître. Mais, soit que ce prince se crût lui-même assez en état de faire la guerre avec le czar, soit qu’il eût été persuadé par les représentations de son ministère et du clergé qu’il ne convenait point de faire alliance avec les ennemis des chrétiens, on se contenta de renvoyer l’ambassadeur comblé de présents, mais sans rien dire ni répondre à ses propositions. (P.)
  2. Il était parti avec huit cents gardes, dit Voltaire dans l’Histoire de Pierre le Grand, première partie, chapitre XVI.