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HISTOIRE DE CHARLES XII.
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On faisait des sorties[1], et quelquefois avec succès ; on fit jouer une mine : mais ce qui rendait la ville imprenable, c’était l’approche du czar, qui s’avançait avec soixante et dix mille combattants. Charles XII alla les reconnaître le 27 juin[2], jour de sa naissance, et battit un de leurs détachements ; mais comme il retournait à son camp, il reçut un coup de carabine qui lui perça la botte, et lui fracassa l’os du talon. On ne remarqua pas sur son visage le moindre changement qui pût faire soupçonner qu’il était blessé : il continua à donner tranquillement ses ordres, et demeura encore près de six heures à cheval. Un de ses domestiques s’apercevant que le soulier de la botte du prince était tout sanglant courut chercher des chirurgiens : la douleur du roi commençait à être si cuisante qu’il fallut l’aider à descendre de cheval, et l’emporter dans sa tente. Les chirurgiens visitèrent sa plaie ; ils furent d’avis de lui couper la jambe. La consternation de l’armée était inexprimable. Un chirurgien nommé Neuman, plus habile et plus hardi que les autres, assura qu’en faisant de profondes incisions il sauverait la jambe du roi. « Travaillez donc tout à l’heure, lui dit le roi : taillez hardiment, ne craignez rien. » Il tenait lui-même sa jambe avec les deux mains, regardant les incisions qu’on lui faisait, comme si l’opération eût été faite sur un autre.

Dans le temps même qu’on lui mettait un appareil, il ordonna un assaut pour le lendemain ; mais à peine avait-il donné cet ordre qu’on vint lui apprendre que toute l’armée ennemie s’avançait sur lui. Il fallut alors prendre un autre parti. Charles, blessé et incapable d’agir, se voyait entre le Borysthène et la rivière qui passe à Pultava, dans un pays désert, sans places de sûreté, sans munitions, vis-à-vis une armée qui lui coupait la retraite et les vivres. Dans cette extrémité, il n’assembla point de conseil de guerre, comme tant de relations l’ont débité ; mais la nuit du 7 au 8 de juillet, il fit venir le feld-maréchal Rehnsköld dans sa tente, et lui ordonna sans délibération, comme sans inquiétude, de tout

  1. Variante : « Le roi en continua le siége avec plus de vigueur ; il emporta les ouvrages avancés, donna même deux assauts au corps de la place, et prit la courtine. Le siége était en cet état lorsque le roi, s’étant avancé à cheval dans la rivière pour reconnaître de plus près quelques ouvrages, reçut un coup… »
  2. Les éditions antérieures à 1748 ne donnent point de date. L’édition de 1748 et toutes celles qui l’ont suivie jusqu’à la présente disent : « 27 mai. » Mais il est évident que c’est une faute de copiste. Le 27 mai est la date de la fondation de Pétersbourg ; le jour de la naissance de Charles XII est, comme Voltaire l’a dit, page 150, le 27 juin ; et c’est au 27 juin qu’il parle de la blessure de Charles XII, dans son Histoire de Russie, chapitre xviii de la première partie. (B.)