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HISTOIRE DE CHARLES XII.


Turc, incertain de ce qu’il devait faire dans un pays où une fausse démarche coûte souvent la vie, n’osa rien prendre sur lui sans avoir auparavant la permission du sérasquier de la province, qui réside à Bender, dans la Bessarabie. Pendant qu’on attendait cette permission, les Russes, qui avaient pris l’armée du roi prisonnière, avaient passé le Borysthène, et approchaient pour le prendre lui-même. Enfin le bacha d’Oczakov envoya dire au roi qu’il fournirait une petite barque pour sa personne et pour deux ou trois hommes de sa suite. Dans cette extrémité, les Suédois prirent de force ce qu’ils ne pouvaient avoir de gré ; quelques-uns allèrent à l’autre bord, dans une petite nacelle, se saisir de quelques bateaux, et les amenèrent à leur rivage : ce fut leur salut, car les patrons des barques turques, craignant de perdre une occasion de gagner beaucoup, vinrent en foule offrir leurs services. Précisément dans le même temps, la réponse favorable du sérasquier de Bender arrivait aussi ; mais les Moscovites se présentaient[1] et le roi eut la douleur de voir cinq cents hommes de sa suite saisis par ses ennemis, dont il entendait les bravades insultantes. Le bacha d’Oczakov lui demanda, par un interprète, pardon de ses retardements, qui étaient cause de la prise de ces cinq cents hommes, et le supplia de vouloir bien ne point s’en plaindre au Grand Seigneur. Charles le promit, non sans lui faire une réprimande, comme s’il eût parlé à un de ses sujets.

Le commandant de Bender, qui était en même temps sérasquier, titre qui répond à celui de général, et bacha de la province, qui signifie gouverneur et intendant, envoya en hâte un aga complimenter le roi, et lui offrir une tente magnifique, avec les provisions, le bagage, les chariots, les commodités, les officiers, toute la suite nécessaire pour le conduire avec splendeur jusqu’à Bender : car tel est l’usage des Turcs, non-seulement de défrayer les ambassadeurs jusqu’au lieu de leur résidence, mais de fournir tout abondamment aux princes réfugiés chez eux, pendant le temps de leur séjour.

FIN DU LIVRE QUATRIÈME.
  1. Ces mots ont été rétablis par Beuchot. Voir l’Avertissement de cet éditeur, page 120, note 2.