Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/301

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
291
LIVRE SIXIÈME.


Ce que faisant, comme vous lui recommanderez bien expressément de faire, il recevra tous les honneurs et les égards dus à Sa Majesté de la part des Polonais, ce dont nous ont fait assurer les ambassadeurs du roi Auguste et de la république, en s’offrant même à cette condition, aussi bien que quelques autres nobles Polonais, si nous le requérons, pour otages et sûreté de son passage.

Lorsque le temps dont vous serez convenu avec le très-noble Delvet Gherai, pour la marche, sera venu, vous vous mettrez à la tête de vos braves soldats, entre lesquels seront les Tartares, ayant à leur tête le kan, et vous conduirez le roi de Suède avec ses gens.

Qu’ainsi il plaise au seul Dieu tout-puissant de diriger vos pas et les leurs ; le bacha d’Aulos restera à Bender pour le garder, en votre absence, avec un corps de spahis et un autre de janissaires ; et en suivant nos ordres et nos intentions impériales en tous ces points et articles, vous vous rendrez dignes de la continuation de notre faveur impériale, aussi bien que des louanges et des récompenses dues à tous ceux qui les observent.

Fait à notre résidence impériale de Constantinople, le 2 de la lune de cheval[1], 1124 de l’hégire. »


Pendant qu’on attendait cette réponse du Grand Seigneur, le roi écrivit à la Porte pour se plaindre de la trahison dont il soupçonnait le kan des Tartares ; mais les passages étaient bien gardés : de plus, le ministère lui était contraire ; les lettres ne parvinrent point au sultan ; le vizir empêcha même M. Désaleurs de venir à Andrinople, où était la Porte, de peur que ce ministre, qui agissait pour le roi de Suède, ne voulût déranger le dessein qu’on avait de le faire partir.

Charles, indigné de se voir en quelque sorte chassé des terres du Grand Seigneur, se détermina à ne point partir du tout.

Il pouvait demander à s’en retourner par les terres d’Allemagne, ou s’embarquer sur la mer Noire, pour se rendre à Marseille par la Méditerranée[2] ; mais il aima mieux ne demander rien, et attendre les événements.

Quand les douze cents bourses furent arrivées, son trésorier Grothusen, qui avait appris la langue turque dans ce long séjour, alla voir le bacha sans interprète, dans le dessein de tirer de lui les douze cents bourses, et de former ensuite à la Porte quelque

  1. C’est le mot turc schewal. — Les Turcs ne connaissent que les mois lunaires. Leur année est de douze mois et de trois cent cinquante-quatre jours.
  2. C’est ce qu’on lui avait même proposé d’abord ; mais il avait répondu : « Je suis arrivé par terre, c’est par terre que je retournerai. »