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LIVRE SEPTIÈME.


homme puisse jamais avoir sur une souveraineté, je veux dire les suffrages unanimes du peuple. C’est lui[1] qui s’est acquis depuis une gloire plus réelle en sauvant la France à la bataille de Fontenoy, en conquérant la Flandre, et en méritant la réputation du plus grand général de nos jours. Il commandait un régiment à Gadebesk, et y eut un cheval tué sous lui : je lui ai entendu dire que les Suédois gardèrent toujours leurs rangs, et que même après que la victoire fut décidée, les premières lignes de ces braves troupes ayant à leurs pieds leurs ennemis morts, il n’y eut pas un soldat suédois qui osât seulement se baisser pour les dépouiller, avant que la prière eût été faite sur le champ de bataille, tant ils étaient inébranlables dans la discipline sévère à laquelle leur roi les avait accoutumés.

Stenbock, après cette victoire, se souvenant que les Danois avaient mis Stade en cendres, alla s’en venger sur Altena, qui appartient au roi de Danemark. Altena est au-dessous de Hambourg, sur le fleuve de l’Elbe, qui peut apporter dans son port d’assez gros vaisseaux. Le roi de Danemark favorisait cette ville de beaucoup de priviléges ; son dessein était d’y établir un commerce florissant : déjà même l’industrie des Altenais, encouragée par les sages vues du roi, commençait à mettre leur ville au nombre des villes commerçantes et riches. Hambourg en concevait de la jalousie, et ne souhaitait rien tant que sa destruction. Dès que Stenbock fut à la vue d’Altena, il envoya dire par un trompette aux habitants qu’ils eussent à se retirer avec ce qu’ils pourraient emporter d’effets, et qu’on allait détruire leur ville de fond en comble.

Les magistrats vinrent se jeter à ses pieds, et offrirent cent mille écus de rançon. Stenbock en demanda deux cent mille. Les Altenais supplièrent qu’il leur fût permis au moins d’envoyer à Hambourg où étaient leurs correspondances, et assurèrent que le lendemain ils apporteraient cette somme : le général suédois répondit qu’il fallait la donner sur l’heure, ou qu’on allait embraser Altena sans délai[2].

  1. Cette phrase fut ajoutée en 1748. (B.)
  2. Entre cet alinéa et le suivant, il y avait dans la première édition : « On disait que les Hambourgeois avaient donné secrètement à Stenbock une grosse somme pour acheter la ruine de cette ville, qui leur faisait ombrage, et que Stenbock, dans cette sévérité, satisfaisait également ses intérêts, sa vengeance et celle de son maître. » Ce passage et celui qui forme la note suivante furent le sujet d’une réclamation dans la Bibliothèque raisonnée, réclamation à l’occasion de laquelle Voltaire écrivit le morceau intitulé Aux auteurs de la Bibliothèque raisonnée, 1732 ; voyez à cette date dans les Mélanges.