Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
338
HISTOIRE DE CHARLES XII.


intéressé. Le prince Menzikoff goûta ses ouvertures ; le czar les approuva. Au lieu de descendre en Suède, comme il en était convenu avec les alliés, il fit hiverner ses troupes dans le Mecklenbourg, et il y vint lui-même sous prétexte de terminer les querelles qui commençaient à naître entre le duc de Mecklenbourg et la noblesse de ce pays, mais poursuivant en effet son dessein favori d’avoir une principauté en Allemagne, et comptant engager le duc de Mecklenbourg à lui vendre sa souveraineté.

Les alliés furent irrités de cette démarche : ils ne voulaient point d’un voisin si terrible, qui, ayant une fois des terres en Allemagne, pourrait un jour s’en faire élire empereur et en opprimer les souverains. Plus ils étaient irrités, plus le grand projet du baron de Görtz s’avançait vers le succès. Il négociait cependant avec tous les princes confédérés pour mieux cacher ses intrigues secrètes. Le czar les amusait tous aussi par des espérances. Charles XII, cependant, était en Norvége avec son beau-frère le prince de Hesse, à la tête de vingt mille hommes ; la province n’était gardée que par onze mille Danois divisés en plusieurs corps, que le roi et le prince de Hesse passèrent au fil de l’épée.

Charles avança jusqu’à Christiana, capitale de ce royaume : la fortune recommençait à lui devenir favorable dans ce coin du monde ; mais jamais le roi ne prit assez de précautions pour faire subsister ses troupes. Une armée et une flotte danoise approchaient pour défendre la Norvége. Charles, qui manquait de vivres, se retira en Suède, attendant l’issue des vastes entreprises de son ministre.

Cet ouvrage demandait un profond secret et des préparatifs immenses, deux choses assez incompatibles. Görtz fit chercher jusque dans les mers de l’Asie un secours qui, tout odieux qu’il paraissait, n’en eût pas été moins utile pour une descente en Écosse, et qui du moins eût apporté en Suède de l’argent, des hommes et des vaisseaux.

Il y avait longtemps que des pirates de toutes nations, et particulièrement des Anglais, ayant fait entre eux une association, infestaient les mers de l’Europe et de l’Amérique. Poursuivis partout sans quartier, ils venaient de se retirer sur les côtes de Madagascar, grande île à l’orient de l’Afrique. C’étaient des hommes désespérés, presque tous connus par des actions auxquelles il ne manquait que de la justice pour être héroïques. Ils cherchaient un prince qui voulût les recevoir sous sa protection ; mais les lois des nations leur fermaient tous les ports du monde.