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ANCÊTRES DE PIERRE LE GRAND.
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quelques règlements de police générale. Mais en voulant réformer les boïards, il les indisposa tous. D’ailleurs il n’était ni assez instruit, ni assez actif, ni assez déterminé, pour oser concevoir un changement général. La guerre avec les Turcs, ou plutôt avec les Tartares de la Crimée, qui continuait toujours avec des succès balancés, ne permettait pas à un prince d’une santé faible de tenter ce grand ouvrage. Fœdor épousa, comme ses autres prédécesseurs, une de ses sujettes, originaire des frontières de Pologne ; et, l’ayant perdue au bout d’une année, il prit pour seconde femme, en 1682, Marthe Mateona, fille du secrétaire Apraxin. Il tomba malade quelques mois après de la maladie dont il mourut, et ne laissa point d’enfant. Comme les czars se mariaient sans avoir égard à la naissance, ils pouvaient aussi choisir (du moins alors) un successeur sans égard à la primogéniture. Il semblait que le rang de femme et d’héritier du souverain dût être uniquement le prix du mérite ; et en cela l’usage de cet empire était bien supérieur aux coutumes des États les plus civilisés.

Fœdor[1], avant d’expirer, voyant que son frère Ivan, trop disgracié de la nature, était incapable de régner, nomma pour héritier des Russies son second frère Pierre, qui n’était âgé que de dix ans, et qui faisait déjà concevoir de grandes espérances.

Si la coutume d’élever les sujettes au rang de czarine était favorable aux femmes, il y en avait une autre bien dure : les filles des czars se mariaient alors rarement ; la plupart passaient leur vie dans un monastère.

La princesse Sophie, la troisième des filles du premier lit du czar Alexis, princesse d’un esprit aussi supérieur que dangereux, ayant vu qu’il restait à son frère Fœdor peu de temps à vivre, ne prit point le parti du couvent ; et, se trouvant entre ses deux autres frères qui ne pouvaient gouverner, l’un par son incapacité, l’autre par son enfance, elle conçut le dessein de se mettre à la tête de l’empire : elle voulut, dans les derniers temps de la vie du czar Fœdor, renouveler le rôle que joua autrefois Pulchérie avec l’empereur Théodose son frère[2].


  1. Avril 1682. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez Remarques sur Pulchérie, dans le Commentaire sur Corneille.