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PROPOSITION D’UN TROISIÈME ROI DE POLOGNE.


Cependant les Russes étaient encore en Pologne, et même à Varsovie, tandis que le roi donné aux Polonais par Charles XII était à peine reconnu d’eux, et que Charles enrichissait son armée des dépouilles des Saxons.

Enfin il partit[1] de son quartier d’Alt-Rantstadt à la tête d’une armée de quarante-cinq mille hommes, à laquelle il semblait que son ennemi ne dût jamais résister, puisqu’il l’avait entièrement défait avec huit mille à Narva.

Ce fut en passant sous les murs de Dresde qu’il alla[2] faire au roi Auguste cette étrange visite qui doit causer de l’admiration à la postérité, à ce que dit Nordberg : elle peut au moins causer quelque étonnement. C’était beaucoup risquer que de se mettre entre les mains d’un prince auquel il avait ôté un royaume. Il repassa par la Silésie, et rentra en Pologne.

Ce pays était entièrement dévasté par la guerre, ruiné par les factions, et en proie à toutes les calamités. Charles avançait par la Masovie, et choisissait le chemin le moins praticable. Les habitants, réfugiés dans des marais, voulurent au moins lui faire acheter le passage. Six mille paysans lui députèrent un vieillard de leur corps : cet homme, d’une figure extraordinaire, vêtu tout de blanc et armé de deux carabines, harangua Charles ; et comme on n’entendait pas trop bien ce qu’il disait, on prit le parti de le tuer aux yeux du prince, au milieu de sa harangue. Les paysans, désespérés, se retirèrent et s’armèrent. On saisit tous ceux qu’on put trouver ; on les obligeait de se pendre les uns les autres, et le dernier était forcé de se passer lui-même la corde au cou, et d’être son propre bourreau. On réduisit en cendres toutes leurs habitations. C’est le chapelain Nordberg qui atteste ce fait dont il fut témoin : on ne peut ni le récuser, ni s’empêcher de frémir[3].

Charles arrive à quelques lieues de Grodno en Lithuanie[4] ; on lui dit que le czar est en personne dans cette ville avec quelques troupes ; il prend avec lui, sans délibérer, huit cents gardes seulement[5], et court à Grodno. Un officier allemand, nommé Mulfelds, qui commandait un corps de troupes à une porte de la ville, ne doute pas, en voyant Charles XII, qu’il ne soit suivi de son armée : il lui livre le passage au lieu de le disputer ; l’alarme se

  1. 22 août. (Note de Voltaire.)
  2. 27 août. (Id.)
  3. Voltaire n’a pas cru devoir intercaler ce fait dans son Charles XII (G. A.)
  4. 6 février 1708. (Note de Voltaire.)
  5. Voyez page 233.