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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE III.


lui restait un champ assez vaste pour ses entreprises ; il avait à perfectionner tous ses établissements en Russie, ses conquêtes sur la Suède à poursuivre, le roi Auguste à raffermir en Pologne, et ses alliés à ménager. Les fatigues avaient altéré sa santé : il fallut qu’il allât aux eaux de Carlsbad en Bohême ; mais pendant qu’il prenait les eaux, il faisait attaquer la Poméranie, Stralsund était bloqué, et cinq petites villes étaient prises.

La Poméranie est la province d’Allemagne la plus septentrionale, bornée à l’orient par la Prusse et la Pologne, à l’occident par le Brandebourg, au midi par le Mecklenbourg, et au nord par la mer Baltique : elle eut presque de siècle en siècle différents maîtres. Gustave-Adolphe s’en empara dans la fameuse guerre de trente ans, et enfin elle fut cédée solennellement aux Suédois par le traité de Vestphalie, à la réserve de l’évêché de Camin et de quelques petites places situées dans la Poméranie ultérieure. Toute cette province devait naturellement appartenir à l’électeur de Brandebourg, en vertu des pactes de famille faits avec les ducs de Poméranie. La race de ces ducs s’était éteinte en 1637 ; par conséquent, suivant les lois de l’empire, la maison de Brandebourg avait un droit évident sur cette province ; mais la nécessité, la première des lois, l’emporta dans le traité d’Osnabruck sur les pactes de famille, et depuis ce temps là Poméranie presque tout entière avait été le prix de la valeur suédoise.

Le projet du czar était de dépouiller la couronne de Suède de toutes les provinces qu’elle possédait en Allemagne ; il fallait, pour remplir ce dessein, s’unir avec les électeurs de Brandebourg et d’Hanovre, et avec le Danemark. Pierre écrivit tous les articles du traité qu’il projetait avec ces puissances, et tout le détail des opérations nécessaires pour se rendre maître de la Poméranie.

Pendant ce temps-là même, il maria dans Torgau[1] son fils Alexis avec la princesse de Volfenbuttel, sœur de l’impératrice d’Allemagne, épouse de Charles VI : mariage qui fut depuis si funeste, et qui coûta la vie aux deux époux.

Le czarovitz était né du premier mariage de Pierre avec Eudoxie Lapoukin, mariée, comme on l’a dit[2], en 1689. Elle était alors confinée dans un couvent à Susdal. Son fils, Alexis Pétrovitz, né le 1er mars 1690, était dans sa vingt-deuxième année. Ce prince n’était pas encore connu en Europe. Un ministre[3],

  1. 25 octobre 1711. (Note de Voltaire.)
  2. Page 442.
  3. Weber, envoyé de Saxe en Russie. Ses Mémoires pour servir à l’histoire de