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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE X.


Le 1er juillet, le clergé donna son sentiment par écrit. Le czar en effet ne lui demandait que son sentiment, et non pas une sentence. Le début mérite l’attention de l’Europe.

« Cette affaire, disent les évêques et les archimandrites, n’est point du tout du ressort de la juridiction ecclésiastique, et le pouvoir absolu établi dans l’empire de Russie n’est point soumis au jugement des sujets ; mais le souverain y a l’autorité d’agir suivant son bon plaisir, sans qu’aucun inférieur y intervienne. »

Après ce préambule on cite le Lévitique, où il est dit que celui qui aura maudit son père ou sa mère sera puni de mort ; et l’Évangile de saint Matthieu, qui rapporte cette loi sévère du Lévitique. On finit, après plusieurs autres citations, par ces paroles très-remarquables :

« Sa Majesté veut punir celui qui est tombé, selon ses actions et suivant la mesure de ses crimes, il a devant lui des exemples de l’ancien Testament ; s’il veut faire miséricorde, il a l’exemple de Jésus-Christ même, qui reçoit le fils égaré revenant à la repentance, qui laisse libre la femme surprise en adultère, laquelle a mérité la lapidation selon la loi, qui préfère la miséricorde au sacrifice ; il a l’exemple de David, qui veut épargner Absalon son fils et son persécuteur : car il dit à ses capitaines qui voulaient l’aller combattre : Épargnez mon fils Absalon ; le père le voulut épargner lui-même, mais la justice divine ne l’épargna point.

« Le cœur du czar est entre les mains de Dieu ; qu’il choisisse le parti auquel la main de Dieu le tournera. »

Ce sentiment fut signé par huit évêques, quatre archimandrites, et deux professeurs ; et, comme nous l’avons déjà dit[1], le métropolite de Rézan, avec qui le prince avait été en intelligence, signa le premier.

Cet avis du clergé fut incontinent présenté au czar. On voit aisément que le clergé voulait le porter à la clémence, et rien n’est plus beau peut-être que cette opposition de la douceur de Jésus-Christ à la rigueur de la loi judaïque, mise sous les yeux d’un père qui faisait le procès à son fils.

Le jour même on interrogea encore Alexis pour la dernière fois, et il mit par écrit son dernier aveu : c’est dans cette confession qu’il s’accuse « d’avoir été bigot dans sa jeunesse, d’avoir fréquenté les prêtres et les moines, d’avoir bu avec eux, d’avoir reçu d’eux les impressions qui lui donnèrent de l’horreur pour les devoirs de son état, et même pour la personne de son père ».

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