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DES CONQUÊTES EN PERSE.


arrivé, et sa négociation avait déjà réussi. Il sut, en abordant à Astracan, que le général Malufkin allait partir avec de nouvelles troupes pour renforcer l’armée du Daguestan. On n’avait point encore pris la ville de Baku ou Bachu, qui donne à la mer Caspienne le nom de mer de Bachu chez les Persans. Il donna au général russe une lettre pour les habitants, par laquelle il les exhortait, au nom de son maître, à se soumettre à l’empereur de Russie. L’ambassadeur continua sa route pour Pétersbourg, et le général Matufkin alla mettre le siége devant la ville de Bachu. L’ambassadeur persan arriva à la cour[1] en même temps que la nouvelle de la prise de la ville.

Cette ville est près de Shamachie, où les facteurs russes avaient été égorgés ; elle n’est pas si peuplée ni si opulente que Shamachie, mais elle est renommée pour le naphte qu’elle fournit à toute la Perse. Jamais traité ne fut plus tôt conclu que celui d’Ismaël-Beg[2]. L’empereur Pierre, pour venger la mort de ses sujets, et pour secourir le sophie Thamaseb contre l’usurpateur, promettait de marcher en Perse avec des armées ; et le nouveau sophi lui cédait non-seulement les villes de Bachu et de Derbent, mais les provinces de Guilan, de Mazanderan, et d’Asterabath.

Le Guilan est, comme nous l’avons déjà dit, l’Hyrcanie méridionale ; le Mazanderan, qui la touche, est le pays des Mardes ; Asterabath joint le Mazanderan ; et c’étaient les trois provinces principales des anciens rois mèdes : de sorte que Pierre se voyait maître, par ses armes et par les traités, du premier royaume de Cyrus.

Il n’est pas inutile de dire que dans les articles de cette convention on régla le prix des denrées qu’on devait fournir à l’armée. Un chameau ne devait coûter que soixante francs de notre monnaie (douze roubles) ; la livre de pain ne revenait pas à cinq liards, la livre de bœuf à peu près à six : ce prix était une preuve évidente de l’abondance qu’on voyait en ces pays des vrais biens, qui sont ceux de la terre, et de la disette de l’argent, qui n’est qu’un bien de convention.

Tel était le sort misérable de la Perse que le malheureux sophi Thamaseb, errant dans son royaume, poursuivi par le rebelle Mahmoud, assassin de son père et de ses frères, était obligé de conjurer à la fois la Russie et la Turquie de vouloir bien prendre une partie de ses États pour lui conserver l’autre.

L’empereur Pierre, le sultan Achmet III, et le sophi Thamaseb,

  1. Août 1723. (Note de Voltaire.)
  2. Septembre 1723. (Id.)