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ALLÉGORIES.

serait bien obligé s’ils voulaient lui faire un garçon. Les trois dieux se mirent à pisser sur le cuir d’un bœuf tout frais écorché ; de là naquit Orion, dont on fit une constellation connue dans la plus haute antiquité. Cette constellation était nommée du nom d’Orion par les anciens Chaldéens ; le livre de Job en parle[1] ; mais, après tout, on ne voit pas comment l’urine de trois dieux a pu produire un garçon. Il est difficile que les Dacier et les Saumaise trouvent dans cette belle histoire une allégorie raisonnable, à moins qu’ils n’en infèrent que rien n’est impossible aux dieux, puisqu’ils font des enfants en pissant.

Il y avait en Grèce deux jeunes garnements à qui un oracle dit qu’ils se gardassent du mélampyge : un jour, Hercule les prit, les attacha par les pieds au bout de sa massue, suspendus tous deux le long de son dos, la tête en bas, comme une paire de lapins. Ils virent le derrière d’Hercule. Mélampyge signifie cul noir. « Ah ! dirent-ils, l’oracle est accompli, voici cul noir. » Hercule se mit à rire, et les laissa aller. Les Saumaise et les Dacier, encore une fois, auront beau faire, ils ne pourront guère réussir à tirer un sens moral de ces fables.

Parmi les pères de la mythologie il y eut des gens qui n’eurent que de l’imagination ; mais la plupart mêlèrent à cette imagination beaucoup d’esprit. Toutes nos académies, et tous nos faiseurs de devises, ceux même qui composent les légendes pour les jetons du trésor royal, ne trouveront jamais d’allégories plus vraies, plus agréables, plus ingénieuses, que celles des neuf Muses, de Vénus, des Grâces, de l’Amour, et de tant d’autres qui seront les délices et l’instruction de tous les siècles, ainsi qu’on l’a déjà remarqué ailleurs[2].

Il faut avouer que l’antiquité s’expliqua presque toujours en allégories. Les premiers pères de l’Église, qui pour la plupart étaient platoniciens, imitèrent cette méthode de Platon. Il est vrai qu’on leur reproche d’avoir poussé quelquefois un peu trop loin ce goût des allégories et des allusions.

Saint Justin dit, dans son Apologétique (apolog., I, n° 55), que le signe de la croix est marqué sur les membres de l’homme ; que quand il étend les bras, c’est une croix parfaite, et que le nez forme une croix sur le visage.

Selon Origène, dans son explication du Lévitique, la graisse

  1. Chapitre IX, 9.
  2. Discours sur la fable, imprimé dès 1746, et qui fait aujourd’hui la fin de l’article Fable ci-après. (B.)