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ÂME.

n’était pas le corps, qui avait été consumé sur un bûcher, ou englouti dans la mer et mangé des poissons. C’était pourtant quelque chose, à ce qu’ils prétendaient : car ils l’avaient vu ; le mort avait parlé ; le songeur l’avait interrogé. Était-ce ψυχὴ, était-ce πνεῦμα, était-ce νοῦς, avec qui on avait conversé en songe ? On imagina un fantôme, une figure légère : c’était σκιὰ, c’était δαὶμον, une ombre, des mânes, une petite âme d’air et de feu extrêmement déliée qui errait je ne sais où.

Dans la suite des temps, quand on voulut approfondir la chose, il demeura pour constant que cette âme était corporelle, et toute l’antiquité n’en eut point d’autre idée. Enfin Platon vint, qui subtilisa tellement cette âme qu’on douta s’il ne la séparait pas entièrement de la matière ; mais ce fut un problème qui ne fut jamais résolu jusqu’à ce que la foi vînt nous éclairer.

En vain les matérialistes allèguent quelques Pères de l’Église qui ne s’exprimaient point avec exactitude. Saint Irénée dit[1] que l’âme n’est que le souffle de la vie, qu’elle n’est incorporelle que par comparaison avec le corps mortel, et qu’elle conserve la figure de l’homme afin qu’on la reconnaisse.

En vain Tertullien s’exprime ainsi : « La corporalité de l’âme éclate dans l’Évangile[2] ; corporalitas animæ in ipso Evangelio relucescit. » Car si l’âme n’avait pas un corps, l’image de l’âme n’aurait pas l’image du corps.

En vain même rapporte-t-il la vision d’une sainte femme qui avait vu une âme très brillante, et de la couleur de l’air.

En vain Tatien dit expressément[3] : ψυχὴ μὲν οὖν ὴ τῶν ἀνθρώπων πολυμερής ὲστι ; l’âme de l’homme est composée de plusieurs parties.

En vain allègue-t-on saint Hilaire, qui dit dans des temps postérieurs[4] : « Il n’est rien de créé qui ne soit corporel, ni dans le ciel, ni sur la terre, ni parmi les visibles, ni parmi les invisibles : tout est formé d’éléments, et les âmes, soit qu’elles habitent un corps, soit qu’elles en sortent, ont toujours une substance corporelle. »

En vain saint Ambroise, au vie siècle, dit : « Nous[5] ne connaissons rien que de matériel, excepté la seule vénérable Trinité. »

  1. Livre V, chapitres vi et vii. (Note de Voltaire.)
  2. Oratio ad Grœcos, chapitre xxiii. (Id.)
  3. De Anima, chapitre vii. (Id.)
  4. Saint Hilaire sur saint Matthieu, page 633. (Id.)
  5. Sur Abraham, livre II, chapitre viii (Id.)