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ÂME.

Le corps de l’Église entière a décidé que l’âme est immatérielle. Ces saints étaient tombés dans une erreur alors universelle ; ils étaient hommes, mais ils ne se trompèrent pas sur l’immortalité, parce qu’elle est évidemment annoncée dans les Évangiles.

Nous avons un besoin si évident de la décision de l’Église infaillible sur ces points de philosophie que nous n’avons en effet par nous-mêmes aucune notion suffisante de ce qu’on appelle esprit pur, et de ce qu’on nomme matière. L’esprit pur est un mot qui ne nous donne aucune idée ; et nous ne connaissons la matière que par quelques phénomènes. Nous la connaissons si peu que nous l’appelons substance : or le mot substance veut dire ce qui est dessous ; mais ce dessous nous sera éternellement caché. Ce dessous est le secret du Créateur, et ce secret du Créateur est partout. Nous ne savons ni comment nous recevons la vie, ni comment nous la donnons, ni comment nous croissons, ni comment nous digérons, ni comment nous dormons, ni comment nous pensons, ni comment nous sentons.

La grande difficulté est de comprendre comment un être, quel qu’il soit, a des pensées.


SECTION II[1].
DES DOUTES DE LOCKE SUR L’ÂME.


L’auteur de l’article Âme[2] dans l’Encyclopédie a suivi scrupuleusement Jaquelot ; mais Jaquelot ne nous apprend rien. Il s’élève aussi contre Locke, parce que le modeste Locke a dit[3] : « Nous ne serons peut-être jamais capables de connaître si un être matériel pense ou non, par la raison qu’il nous est impossible de découvrir par la contemplation de nos propres idées, sans révélation, si Dieu n’a point donné à quelque amas de matière, disposée comme il le trouve à propos, la puissance d’apercevoir et de penser ; ou s’il a joint et uni à la matière ainsi disposée une substance immatérielle qui pense. Car par rapport à nos notions, il ne nous est pas plus malaisé de concevoir que Dieu peut, s’il lui plaît, ajouter à notre idée de la matière la faculté de penser, que de comprendre qu’il

  1. Questions sur l’Encyclopédie, 1770. (B.)
  2. L’abbé Yvon, qui, ayant été excommunié, se retira de l’Encyclopédie. Il y fut remplacé par de Prades, qui fut remplacé par Mallet, qui fut remplacé par Morellet, lequel garda la succession théologique jusqu’à la fin. (G. A.)
  3. Traduction de Coste, livre IV, chapitre iii, § 6. (Note de Voltaire.)