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AMOUR DE DIEU.

vivait avec vous d’illusions et de suppléments. Elle vous caressait quelquefois avec d’autant plus de plaisir qu’ayant fait vœu au Paraclet de ne vous plus aimer, ses caresses en devenaient plus précieuses comme plus coupables. Une femme ne peut guère se prendre de passion pour un eunuque ; mais elle peut conserver sa passion pour son amant devenu eunuque, pourvu qu’il soit encore aimable.

Il n’en est pas de même, mesdames, pour un amant qui a vieilli dans le service : l’extérieur ne subsiste plus ; les rides effrayent ; les sourcils blanchis rebutent ; les dents perdues dégoûtent ; les infirmités éloignent ; tout ce qu’on peut faire, c’est d’avoir la vertu d’être garde-malade, et de supporter ce qu’on a aimé. C’est ensevelir un mort.


AMOUR DE DIEU[1].


Les disputes sur l’amour de Dieu ont allumé autant de haines qu’aucune querelle théologique. Les jésuites et les jansénistes se sont battus pendant cent ans à qui aimerait Dieu d’une façon plus convenable, et à qui désolerait plus son prochain.

Dès que l’auteur du Télémaque, qui commençait à jouir d’un grand crédit à la cour de Louis XIV, voulut qu’on aimât Dieu d’une manière qui n’était pas celle de l’auteur des Oraisons funèbres[2], celui-ci, qui était un grand ferrailleur, lui déclara la guerre, et le fit condamner dans l’ancienne ville de Romulus, où Dieu était ce qu’on aimait le mieux après la domination, les richesses, l’oisiveté, le plaisir et l’argent.

Si Mme Guyon avait su le conte de la bonne vieille qui apportait un réchaud pour brûler le paradis, et une cruche d’eau pour éteindre l’enfer, afin qu’on n’aimât Dieu que pour lui-même, elle n’aurait peut-être pas tant écrit. Elle eût dû sentir qu’elle ne pouvait rien dire de mieux. Mais elle aimait Dieu et le galimatias si cordialement qu’elle fut quatre fois en prison pour sa tendresse : traitement rigoureux et injuste. Pourquoi punir comme une criminelle une femme qui n’avait d’autre crime que celui de faire des vers dans le style de l’abbé Cotin, et de la prose dans le

  1. Dans les Questions sur l’Encyclopédie (4e partie, 1771), c’était au mot Dieu qu’était placé cet article. (B.)
  2. Voltaire rappelle ici la querelle de Fénelon et de Bossuet sur le quiétisme, dont il est parlé dans le Siècle de Louis XIV, chapitre xxxviii.