Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
220
ANA, ANECDOTES.

fausses. Mais, et vieilles chartes en parchemin, et nouvelles anecdotes imprimées chez Pierre Marteau, tout cela est fait pour gagner de l’argent.


ANECDOTE SINGULIÈRE SUR LE P. FOUQUET,
CI-DEVANT JÉSUITE.


(Ce morceau est inséré en partie dans les Lettres juives.)


En 1723, le P. Fouquet, jésuite, revint en France, de la Chine où il avait passé vingt-cinq ans. Des disputes de religion l’avaient brouillé avec ses confrères. Il avait porté à la Chine un Évangile différent du leur, et rapportait en Europe des mémoires contre eux. Deux lettrés de la Chine avaient fait le voyage avec lui. L’un de ces lettrés était mort sur le vaisseau ; l’autre vint à Paris avec le P. Fouquet. Ce jésuite devait emmener son lettré à Rome, comme un témoin de la conduite de ces bons pères à la Chine. La chose était secrète.

Fouquet et son lettré logeaient à la maison professe, rue Saint-Antoine à Paris. Les révérends Pères furent avertis des intentions de leur confrère. Le P. Fouquet sut aussi incontinent des desseins des révérends Pères ; il ne perdit pas un moment, et partit la nuit en poste pour Rome.

Les révérends Pères eurent le crédit de faire courir après lui. On n’attrapa que le lettré. Ce pauvre garçon ne savait pas un mot de français. Les bons Pères allèrent trouver le cardinal Dubois, qui alors avait besoin d’eux. Ils dirent au cardinal qu’ils avaient parmi eux un jeune homme qui était devenu fou, et qu’il fallait l’enfermer.

Le cardinal qui, par intérêt, eût dû le protéger sur cette seule accusation, donna sur-le-champ une lettre de cachet, la chose du monde dont un ministre est quelquefois le plus libéral.

Le lieutenant de police vint prendre ce fou qu’on lui indiqua ; il trouva un homme qui faisait des révérences autrement qu’à la française, qui parlait comme en chantant, et qui avait l’air tout étonné. Il le plaignit beaucoup d’être tombé en démence, le fit lier, et l’envoya à Charenton où il fut fouetté, comme l’abbé Desfontaines, deux fois par semaine.

Le lettré chinois ne comprenait rien à cette manière de recevoir les étrangers. Il n’avait passé que deux ou trois jours à Paris ; il trouvait les mœurs des Français assez étranges ; il vécut deux ans au pain et à l’eau entre des fous et des pères correc-