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ANCIENS ET MODERNES.
Les hommes, en tout temps, ont pensé qu’autrefois[1]
De longs ruisseaux de lait serpentaient dans nos bois ;
La lune était plus grande, et la nuit moins obscure ;
L’hiver se couronnait de fleurs et de verdure ;
L’homme, ce roi du monde, et roi très-fainéant,
Se contemplait à l’aise, admirait son néant.
Et, formé pour agir, se plaisait à rien faire, etc.

Horace combat ce préjugé avec autant de finesse que de force dans sa belle épître à Auguste[2]. « Faut-il donc, dit-il, que nos poèmes soient comme nos vins, dont les plus vieux sont toujours préférés ? » Il dit ensuite :

[3] Indignor quidquam reprehendi, non quia crasse
Compositum illepideve putetur, sed quia nuper ;
Nec veniam antiquis, sed honorem et præmia posci.
.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
Ingeniis non ille favet plauditque sepultis[4] ;
Nostra sed impugnat ; nos nostraque lividus odit, etc.

J’ai vu ce passage imité ainsi en vers familiers :

Rendons toujours justice au beau.
Est-il laid pour être nouveau ?
Pourquoi donner la préférence
Aux méchants vers du temps jadis ?
C’est en vain qu’ils sont applaudis ;
Ils n’ont droit qu’à notre indulgence.
Les vieux livres sont des trésors,
Dit la sotte et maligne envie.
Ce n’est pas qu’elle aime les morts :
Elle hait ceux qui sont en vie.

Le savant et ingénieux Fontenelle s’exprime ainsi sur ce sujet :

« Toute la question de la prééminence entre les anciens elles modernes, étant une fois bien entendue, se réduit à savoir si les arbres qui étaient autrefois dans nos campagnes étaient plus grands que ceux d’aujourd’hui. En cas qu’ils l’aient été, Homère, Platon, Démosthène, ne peuvent être égalés dans ces derniers

  1. Sauf les premiers mots, ces vers sont extraits du Sixième discours sur l’homme. Voyez tome IX.
  2. Epist. I, V. 34, livre II. (Note de Voltaire.)
  3. Ibid., v. 76-78. (Id.)
  4. Epist. i, v. 88-89.